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l’histoire des savans. Dans cette voie se sont engagés après lui, sans l’égaler, D’Alembert, emprunté par l’Académie française à l’Académie des sciences pour devenir l’organe des lettres, comme Fontenelle avait été prêté par l’Académie française à l’Académie des sciences pour que celle-ci en fît son spirituel interprète ; puis Condorcet, Cuvier, et, de nos jours, Flourens et M. Dumas. Mais ni la précision géométrique de D’Alembert, dont on a dit avec raison que chez lui « la justesse n’est pas un bonheur de l’esprit, mais une déduction rigoureuse, » ni l’instruction solide et variée contenue dans les éloges de Condorcet, ni la pénétration profonde et le degré de perfection dans l’analyse qui distinguent Cuvier, ni la fermeté des jugemens portés par Flourens, ne sauraient faire oublier le monument élevé par Fontenelle. C’est qu’il n’a pas eu le seul mérité de faire valoir le premier une des idées les plus fécondes du XVIIIe siècle, à savoir l’alliance étroite du génie littéraire avec les sciences, alliance que devaient resserrer davantage encore Buffon, Maupertuis, La Condamine, Bailly, Vicq-d’Azir, et, dans ce siècle, Laplace, Fourier, Biot et Arago, Fontenelle a su en outre donner à ses éloges une originalité particulière en les concevant, en les écrivant en philosophe. Chez lui se trouve avant tout un observateur pénétrant des hommes, un spectateur attentif de la vie humaine. Ses notices, que nous nommerions volontiers des traités de morale, mais en aucun cas des éloges, car il est loin d’abuser de l’admiration, ni des discours, car elles n’ont pas le tour oratoire, ses notices abondent en maximes courantes pour l’usage ordinaire de la vie et en vues quelquefois profondes, toujours fines, sur le caractère des hommes. Sceptique sans amertume, ironique sans malice, juge clairvoyant, mais sans sévérité, il prouve à la fois qu’il sait pénétrer à fond notre nature, et que sa supériorité bienveillante le dispense d’insister sur les défauts. Il ne se borne pas à faire paraître la science aussi aimable et aussi facile que l’est le style par lequel il en résume les découvertes. Il la montre conduisant l’homme non-seulement à la vérité, mais au bonheur, en ce qu’elle a pour effet pie rendre l’esprit égal et tranquille. À cet égard Fontenelle aurait pu se donner en exemple. Il a été actif, mais jamais au point d’être agité. Nul plus que lui ne s’est affranchi « de ces vaines inquiétudes, de ces agitations insensées qui sont les plus douloureuses et les plus incurables de toutes les maladies[1]. » Plus le savant qu’il a à peindre a eu une existence solitaire et enveloppée tout entière par la science, plus Fontenelle excelle dans ses portraits et fait une ample récolte d’observations. Tout lui offre matière à enseignement, mais cet enseignement il le donne sans

  1. Fontenelle, Éloge de Cassini.