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L’Académie française nous semble avoir été bien mieux inspirée dans ses concours lorsqu’à ces mots : « Éloge d’un personnage, » elle a substitué ceux-ci ; « Étude sur tel personnage. » Elle accorde ainsi une plus grande liberté à l’écrivain et l’autorise au blâme sans lequel la louange ne saurait avoir de prix. Elle a été bien mieux inspirée encore lorsqu’elle a laissé les concurrens entièrement libres du choix du sujet, ce qu’elle a fait trop rarement pour le prix d’éloquence, quelquefois pour le prix de poésie. Elle s’est pourtant très bien trouvée de cette innovation. La muse de l’éloquence, comme la muse de la poésie, rend en inspirations élevées ce qu’on lui accorde en indépendance. En outre, l’écrivain s’offre ainsi au jugement de l’Académie par le goût qui l’a inspiré dans le choix du sujet autant que par le goût qui l’a dirigé dans la manière de le traiter. Si l’Académie renouvelait plus souvent cette épreuve, il est à croire que ses annales compteraient moins d’éloges pompeux et plus de saines études critiques, et que les jeunes écrivains exerceraient plus utilement leur esprit en étudiant tour à tour les côtés défectueux et les qualités de nos grands hommes.

Est-ce à dire que nous proscrivions l’éloge ? Assurément non. L’éloge a toujours été l’aiguillon nécessaire à certains hommes, et en général à ceux que la fortune a placés le plus haut. Philippe de Macédoine, répondant à un courtisan qui lui conseillait de détruire Athènes : « Et par qui serons-nous loués ? » Alexandre s’écriant : « O Athéniens, qu’il en coûte pour être estimé de vous ! » Pierre le Grand prêt à poignarder un de ses capitaines et s’arrêtant sur ce mot : « Frappe, mais ce sera dans ton histoire ! » obéissaient au même sentiment.

Mais c’est de l’historien bien plus que de l’auteur futur d’un éloge dont vraiment tiennent compte ceux qui, participant aux grandes affaires de leur pays, se préoccupent de l’opinion de la postérité. Nous sommes disposés, comme Thomas, à voir dans la postérité « un asile où la justice est rétablie, » où Socrate est vengé, Galilée absous, où Bacon réapparaît un grand homme, où Cicéron ne craint plus le fer des assassins, ni Démosthène le poison, où Virgile s’assied plus haut qu’Auguste, et Corneille à côté de Condé, où Molière, Catinat et Fabert prennent la place glorieuse que leur assure leur génie, mais que leur naissance infime les a empêchés d’occuper de leur vivant. Dans cet asile d’équité, où l’immortalité commence, ni l’or, ni la vanité, ni les stupides préjugés ne comptent plus pour rien. Chacun prend la rang que lui assignent son génie ou ses vertus. Mais cet équitable classement, cette souveraine et décisive justice, c’est moins dans les honneurs rendus aux grands hommes que nous les trouvons ; c’est moins dans ces statues, dans ces inscriptions, dans ces arcs de triomphe, dans ces