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rang des souverains de l’Europe… » Quelques mois plus tard, à la tribune du corps législatif, M. Thiers, développant ces paroles de l’empereur et les appliquant à ses propres sentimens politiques, en tirait cette leçon éloquente : « On a dit quelquefois qu’un prince supérieur ne pourrait pas supporter le simple rôle de monarque constitutionnel. Je renvoie à des souvenirs bien récens et bien frappans. Il y a eu pendant trente-cinq ans à côté de nous un prince incontestablement supérieur… qui a pu, avec un caractère ferme et un esprit très arrêté, remplir dignement le rôle que lui assignaient les institutions constitutionnelles de son pays, et personne n’osera dire qu’il y ait en Europe aujourd’hui une considération plus grande que celle dont jouissait ce prince, chef d’une nation de 4 millions d’hommes ! »

Mais c’est en Angleterre surtout que la douleur, l’admiration, la reconnaissance étaient particulièrement touchantes. Pendant que la grande aristocratie libérale regardait la mort du roi des Belges comme un malheur européen, la reine Victoria pleurait un oncle, un tuteur, le tuteur de ses jeunes années, le tuteur et le maître du prince Albert. Elle se rappelait que l’Angleterre avait été le berceau politique de sa destinée, elle se rappelait ces lettres de sa cousine, la princesse Charlotte, qu’elle conservait comme des reliques, elle se représentait ces jours d’autrefois dont le roi des Belges avait tracé pour elle une vive image en ses Early years, et, dans le même sentiment de piété domestique, elle voulait que tous ces souvenirs fussent rassemblés sous ses yeux. Si vous allez visiter le château de Windsor, quand vous aurez admiré les merveilles de la chapelle de Saint-George, la nef gothique, le jubé, le chœur, les stalles des chevaliers de la Jarretière, parmi tant de tombes royales et seigneuriales, parmi tant de souvenirs qui vont du XVe siècle au XIXe, n’oubliez pas de vous arrêter devant le cénotaphe de la princesse Charlotte ; vous verrez tout auprès le monument funéraire élevé par la reine Victoria au prince qui, avant de devenir le roi des Belges, avait été le mari de la jeune princesse de Galles, et qui, si la destinée l’eût permis, aurait été comme prince consort l’alter ego de la reine Charlotte. Le lion belge y supporte l’effigie du roi. Au-dessous sont fixées deux plaques de marbre blanc. Sur l’une on lit cette inscription : « Léopold, prince de Saxe-Cobourg-et-Gotha, élu premier roi des Belges. Marié d’abord à la princesse Charlotte de Galles, secondement à la princesse Louise d’Orléans, à côté de laquelle il repose à Laeken, en Belgique. Né le 16 décembre 1790, mort le 10 décembre 1865, après un règne prospère de trente-quatre années. » La seconde porte ces mots : « Ce monument a été élevé par la reine Victoria à la mémoire de l’oncle qui tint la place d’un père dans ses affections. »