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préconçues, sauf les maximes générales du bon sens. À la lumière de ce bon gens, il interroge les événemens de la vie politique, il rapproche les effets des causes, il met l’expérience au-dessus de toutes les théories, il s’accoutume à cette idée que la politique est l’opposé de l’algèbre, et que, si les maîtres des vérités sublimes ont pu dire : Il n’y a pas de science de ce qui passe, » la politique, bien au contraire, est la science de ce qui passe, de ce qui change, de ce qui se modifie sans cesse, la science des choses opportunes. Cette philosophie, Stockmar la doit à l’observation constante des vicissitudes parlementaires chez la nation anglaise, aux exemples de Canning et de Melbourne, de Robert Peel et de Palmerston, de John Russell et de Stanley, de Gladstone et de Disraeli, à l’étude attentive, impartiale, de ceux qu’il contredit comme de ceux qu’il approuve. Étudiant pour apprendre, non pour combattre, cherchant la vérité, non le succès, il puise également chez les uns et les autres. Il n’est ni whig ni tory, dans l’ancienne signification de ces deux termes, il est simplement un constitutionnel, un admirateur de la législation vivante, qui est sortie, non pas du cerveau d’un homme, mais de l’expérience des générations, vrai capital d’idées et de principes accumulé par un labeur séculaire. Cette constitution qui n’est écrite dans aucun code, mais qui est gravée au cœur des Anglais, il la connaît si bien, il l’aime d’une façon si désintéressée, il la défend avec tant de zèle et de vigilance qu’en Angleterre même de très bons juges commencent à le considérer comme une autorité en matière de droit public. C’est là manifestement la véritable originalité de sa vie.

Stockmar a traversé une grande période de la politique européenne ; parmi les hommes qui ont été ses amis ou ses adversaires, ses collaborateurs pu ses contradicteurs, que deviennent ceux qui lui survivent ? Celui qu’il aimait le moins, c’était lord Palmerston, Si longtemps l’ennemi sournois et acharné du prince Albert ; celui qu’il aimait le plus tendrement, c’était le roi des Belges. Tous les deux le suivirent de près dans la tombe. Le 18 octobre 1865, lord Palmerston, qui occupait pour la seconde fois le poste de premier ministre, mourut en pleine activité, comme un soldat sur la brèche. Il était âgé de quatre-vingt-un ans, et il avait exercé le pouvoir pendant plus d’un demi-siècle. Un refroidissement gagné dans une course en voiture amena une inflammation pulmonaire, qui l’emporta en quelques heures. Des lettres de lui publiées par M. Ashley attestent jusqu’au dernier instant sa vigilance et son énergie dans l’accomplissement de ses devoirs. Le jour où il fut frappé, il travaillait encore. On peut se demander pourtant si ce puissant homme d’état, avec toute sa vigueur d’esprit et ses étonnantes ressources, a laissé autre chose qu’un grand nom parlementaire. Un de nos