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marbre porte cette inscription : « À la mémoire du baron Christian-Frédéric de Stockmar, né le 22 août 1787, mort le 9 juillet 1863, dédié par ses amis des maisons régnantes de Belgique, de Cobourg, d’Angleterre et de Prusse. » Plus bas on lit ces paroles tirées des Proverbes de Salomon, chapitre XVIII, verset 24 : « a L’ami fidèle aime mieux qu’un frère, mieux qu’un frère il est un ferme appui. »


IV

Quand on essaie de résumer cette existence à la fois si mystérieuse et si pleine, la première chose qui frappe l’attention, c’est précisément ce contraste : un homme à peine connu de quelques-uns pendant sa vie, un esprit réservé, discret, timide, prompt à se dérober, un personnage muet qui traverse la scène sur la pointe des pieds et tout doucement se réfugie dans l’ombre, un tel homme, dis-je, mêlé d’une façon constante à tous les événemens considérables de son époque, voilà certes un des contrastes les plus singuliers que puisse rêver l’imagination. C’est pour cela qu’un politique de haute et juste renommée, un des doyens du corps diplomatique européen, M. le baron Nothomb, ministre de Belgique à Berlin depuis plus de vingt années, lui disait un jour : « Vous avez eu une destinée souterraine, une destinée anonyme. » Il n’avait pas besoin d’achever sa pensée, lui qui savait quelle part d’action revenait à Stockmar dans maintes décisions royales. Cela voulait dire : Tandis que vous viviez sous terre, que de choses sur la terre ont grâce à vous changé de face !

Mais le point le plus important dans cette vie de méditation assidue et d’activité silencieuse, c’est l’étude que Stockmar avait faite de la monarchie constitutionnelle, étude complète, où la pratique soutenait toujours la théorie, où la théorie cherchait toujours à dégager de la réalité vivante un principe de vie. À lire superficiellement les notes ou les dissertations de Stockmar, on le prendrait volontiers pour un doctrinaire ; ce serait se tromper du tout au tout. Le procédé doctrinaire est absolument contraire au sien. Les doctrinaires ont un certain nombre de maximes qu’ils appliquent ou plutôt qu’ils imposent aux faits, bon gré, mal gré. Aussi, entraînés par cette habitude despotique de leur esprit, finissent-ils d’ordinaire par transformer en maximes tous les incidens de leur conduite, au lieu de conformer cette conduite à leurs maximes. Voilà comment les doctrinaires, avec la plus belle philosophie du monde, en viennent toujours à se perdre infailliblement. Tout autre est la méthode de Stockmar. C’est la méthode anglaise par excellence, bien qu’il l’expose quelquefois sous forme germanique. Il n’a pas de maximes