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tous les ministres, car il méprise la science. Westphalen est le plus cauteleux et le plus redoutable. Manteuffel du moins sait bien le grec et lit les classiques. »

« 3 octobre. — Humboldt me donne des nouvelles de Sans-Souci. Lundi dernier, le roi s’éveilla avec des étourdissemens et des vertiges. La comtesse D. raconte qu’il est resté quelque temps sans pouvoir dire un mot. C’était à peu près l’anniversaire du début de la maladie. Le roi s’est plaint à Humboldt d’être bien plus souffrant que par le passé. Il avait terriblement mal à la tête, disait-il ; cependant il allait se promener, parce qu’il se sentait alors la tête plus libre. »


C’est une semaine après cette dernière note que le prince de Prusse fut appelé à la régence. Le roi lui-même, le mystique et bienveillant roi Frédéric-Guillaume IV, se reconnaissant désormais incapable de remplir ses devoirs de souverain, avait décidé, par un décret daté du 9 octobre 1858, que son frère, le prince Guillaume de Prusse, « dirigerait les affaires avec une complète indépendance et selon ses vues personnelles en qualité de régent. » Le même jour, par une série d’ordonnances insérées au journal officiel, le prince Guillaume prenait possession de la régence et convoquait les deux chambres pour le 20 octobre. Le ton de ces ordonnances indiquait dans le gouvernement un esprit tout nouveau. Les idées féodales et patriarcales, rêve bizarre de Frédéric-Guillaume IV, disparaissaient comme des fantômes. On voyait se lever, non pas une royauté parlementaire à la façon anglaise, mais une monarchie qui proclamait pourtant le respect de la constitution, qui condamnait l’arbitraire, parlait des besoins de l’époque et des réformes utiles. Cette session extraordinaire ne dura que six jours. Le 26 octobre, après que la nécessité de la régence eut été affirmée dans une adresse votée par tous les suffrages, le régent prêta serment à la constitution au milieu de l’enthousiasme général et la session fut close. Le 6 novembre, un ministère nouveau remplaçait le ministère Manteuffel. Dans ce cabinet, que présidait le prince de Hohenzollern-Sigmaringen, à côté de plusieurs personnages plus ou moins libéraux, mais tous également hostiles à la politique de 1850 et impatiens d’en faire oublier la honte, un des amis de Stockmar, M. d’Auerswald, avait été chargé du ministère d’état.

C’était presqu’une révolution, c’était du moins un changement complet de direction et de manœuvre. Bien que le parti féodal dût s’y attendre, il en poussa des cris de fureur. Sans entrer plus avant dans cette histoire, il est bon de se rappeler le caractère des débuts de la régence, si l’on veut comprendre les soupçons auxquels Stockmar fut en butte pendant son séjour à Berlin, aux mois de septembre et octobre 1858. Il voyait souvent M. d’Auerswald, M. de