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clergé belge devenu l’avant-garde du clergé catholique dans toute l’Europe, lequel « veut absolument redevenir propriétaire et s’attirera des revers cruels. » Il est donc porté à croire, comme Stockmar toujours, mais sans le dire avec la même liberté, « que le roi a trop de prédilection pour les catholiques et trop de répugnance à l’égard des libéraux. »

La réponse de M. Guizot est plus complète, plus large, plus vraiment libérale. Nous la possédons tout entière. Elle a été publiée ici même pendant la crise qui nous occupe. C’est la puissante et noble étude intitulée : La Belgique et le roi Léopold en 1857[1].

Si nous avons été obligé, au sujet du 24 février 1848, de donner tort à M. Guizot et de lui opposer la science constitutionnelle du conseiller de la reine Victoria, nous saisissons avec joie l’occasion de montrer comme ce grand esprit sait reprendre l’avantage. L’homme d’état s’est trompé bien des fois, et qui donc ne se trompe à l’heure de l’action, dans un pays comme le nôtre, au milieu de tant de problèmes redoutables ? Le penseur du moins, le philosophe politique a été toujours sans reproche. Quand on vient d’étudier à distance cette crise de 1857, quand on a lu attentivement la loi de bienfaisance, les discussions du parlement belge, la lettre du roi à M. de Decker, les lettres allemandes et françaises de Stockmar, la consultation de M. Thiers ou du moins les fragmens que Stockmar en a cités, l’étude de M. Guizot apparaît comme un jugement où chaque droit est reconnu et chaque chose remise en sa place.

M. Guizot n’a pas besoin comme Stockmar de justifier l’intervention du roi Léopold par l’exemple de Guillaume III, il n’a pas besoin d’écarter un doute, un scrupule, car il n’a éprouvé ni scrupule ni doute, il déclare que la conduite du roi a été parfaitement conforme à son devoir. « Le roi Léopold, dit-il, a fait cesser le combat sans rendre les armes, il a protégé la paix du pays troublé en restant en mesure d’en appeler au pays à jeun, il a maintenu la question sans la pousser à bout : vraie conduite de roi constitutionnel et de roi. » Il examine ensuite la loi de bienfaisance, et la trouvant parfaitement juste, sensée, prudente, conforme aux principes d’humanité ainsi qu’aux règles d’état, il s’étonne qu’elle ait pu causer une telle émotion. Cependant les adversaires de la loi dans la chambre des représentans ne sont pas des hommes de désordre, des ennemis de la monarchie et de la constitution, c’est M. Lebeau, M. Charles Rogier, M. Henri de Brouckère, M. Tesch, M. Verhaegen, M. Frere-Orban, d’anciens ministres, des libéraux sincères, des esprits dévoués au roi Léopold. Il les écoute, et son étonnement cesse. De tels hommes peuvent se tromper, ils se

  1. Voyez la Revue du 1er août 1857.