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quelques paroles au pays qui m’a donné tant de preuves de son attachement.

« Une discussion longue et animée, suivie d’incidens que je déplore, a eu lieu dans la chambre des représentans sur un projet de loi présenté par vous.

« Pour la première fois, depuis vingt-sis ans que je me suis dévoué à la Belgique, les débats parlementaires ont fait naître des difficultés dont la solution ne s’est pas immédiatement révélée.

« Vous avez agi avec la plus grande loyauté et la plus entière bonne foi. Vous êtes fermement persuadé que le projet de loi, mis à exécution, ne produirait pas les conséquences fâcheuses que l’on y a attribuées. Je ne porterai pas de jugement sur le projet ; je n’aurais jamais consenti à donner place dans notre législation à une loi qui aurait pu avoir les funestes effets qu’on redoute ; mais, sans me livrer à l’examen de la loi en elle-même, je tiens compte, comme vous, d’une impression qui s’est produite à cette occasion chez une partie considérable de la population. Il a dans les pays qui s’occupent eux-mêmes de leurs affaires de ces émotions rapides, contagieuses, se propageant avec une intensité qui se constate plus facilement qu’elle ne s’explique, et avec lesquelles il est plus sage de transiger que de raisonner.

« Les libres institutions de la Belgique ont été pratiquées pendant vingt-six ans avec une admirable régularité. Que faut-il pour qu’elles continuent à fonctionner dans l’avenir avec le même ordre, le même succès ?

« Je n’hésite pas à le dire, il faut chez les partis de la modération et de la réserve. Je crois que nous devons nous abstenir d’agiter toute question qui peut allumer la guerre dans les esprits. Je suis convaincu que la Belgique peut vivre heureuse et respectée en suivant les voies de la modération, mais je suis également convaincu, et je le dis à tout le monde, que toute mesure qui peut être interprétée comme tendant à user la suprématie d’une opinion sur l’autre est un danger. La liberté ne nous manque pas, et notre constitution sagement et modérément pratiquée présente un heureux équilibre.

« Mon attachement sincère et profond aux destinées du pays a fait naître chez mot ces graves réflexions. Je les communique au pays, à vous-même, à la majorité de la représentation nationale.

« Dans les circonstances où nous sommes, la majorité de la chambre, dont les vœux comme majorité sont et doivent être mon guide, a une noble position à prendre, position digne d’un grand parti.

« Je lui donne le conseil de renoncer, comme vous le lui proposerez, à continuer la discussion de la loi. C’est à la majorité qu’il appartient de remplir ce rôle généreux. En l’acceptant tout entier, elle donnera au monde une haute idée de sa sagesse et de son patriotisme. Elle