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combien d’hommes ont disparu ! Au moins tous ceux qui restent sont là. Dès que le roi les aperçoit, moins nombreux, mais toujours fidèles et représentant ceux qui ne sont plus, une émotion profonde le saisit. Il se découvre, les larmes dans les yeux, comme s’il saluait la patrie elle-même. Tous les témoins affirment qu’il y avait quelque chose d’antique dans la simplicité de ce tableau. Ce groupe de bourgeois, c’était bien à la lettre les patres patriœ. À la tête de ces vétérans du droit national reparaissait M. de Gerlache, celui-là même qui, le 21 juillet 1831, après avoir reçu le serment du roi, lui avait dit au nom du congrès : « Sire, montez au trône ! » C’est lui encore qui va saluer le souverain et exprimer la signification de cette grande scène. Le roi s’est approché des marches de l’église. Un silence profond s’établit. M. de Gerlache prononce ces paroles :


« Sire, il y a vingt-cinq ans qu’à cette même place, en ce même jour, le congrès belge reçut au nom de la nation le serment de votre majesté « d’observer la constitution et les lois du peuple belge, et de maintenir l’indépendance nationale. » Les hommes qui furent alors témoins de ce solennel engagement viennent affirmer aujourd’hui à la face du ciel que votre majesté a rempli toutes ces promesses et dépassé toutes nos espérances. Et la nation tout entière, sire, vient l’affirmer avec nous. Elle vient attester que, pendant ce règne de vingt-cinq ans, son roi n’a ni violé une seule de ses lois, ni porté atteinte à une seule de ses libertés, ni donné cause légitime de plainte à un seul de nos concitoyens. Ici tous les dissentimens disparaissent ; ici nous sommes tous d’accord, nous n’avons tous qu’un même cœur pour associer dans un commun amour et notre roi et notre patrie !

« Au milieu des commotions qui ont ébranlé tant de gouvernemens, la Belgique est restée fidèlement attachée à son prince et aux institutions qu’elle s’est données. Cette sorte de phénomène, rare dans notre siècle, ne peut s’expliquer que par l’heureux accord du roi et du peuple, cimenté par leur mutuel respect pour la foi jurée et pour la constitution nationale. Une constitution qui suffit à un peuple avide de liberté ; un peuple qui aime assez cette constitution pour la supporter avec ses inévitables inconvéniens, un peuple sensé, religieux et moral, qui se souvient de son passé, qui ne demande qu’à vivre en repos sous la protection de ses lois ; un prince si sage, si habile, si conciliant, qu’au milieu d’opinions divergentes il a su conquérir l’estime et le respect de tous en Belgique et à l’étranger ; — tel a été, sire, le concours de circonstances vraiment providentielles qui a maintenu et consolidé ce nouvel état, qui l’a rendu paisible, prospère, et, nous osons l’espérer, c’est notre dernier vœu, stable à tout jamais !

« Sire, l’histoire un jour, après avoir rappelé nos vieilles gloires