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pour rehausser leur dignité aux yeux de la multitude. Que de choses d’ailleurs nous aurions à envier et nous pourrions emprunter à cette merveilleuse académie ! L’autorité, l’argent, tous les moyens les plus puissans d’expérimentation, sont prodigués à l’Institut de Salomon pour arracher à la nature ses secrets. Il a des tours sur les plus hautes montagnes et sur ces tours des ermites chargés d’observer les météores et tous les phénomènes des hautes régions de l’air. Pour étudier les entrailles de la terre, il dispose de cavités profondes creusées dans les plus profondes vallées ; il a des fours, des étuves de toutes les formes et de toutes les grandeurs, des maisons d’optique et d’acoustique. N’oublions pas des maisons spécialement consacrées à faire des expériences qui peuvent tromper les sens et produire des effets en apparence miraculeux. L’histoire naturelle n’est pas moins richement pourvue que l’astronomie, la géologie, la physique et la chimie. Autour du palais de l’Institut de Salomon s’étendent des étangs d’eau douce, des étangs d’eau salée, des parcs immenses, où sont rassemblés tous les êtres vivans de la création et en comparaison desquels nos aquariums et nos jardins zoologiques ne sont que jouets d’enfans. « Voilà, s’écrie Condorcet, ce qu’un esprit créateur a osé concevoir dans un siècle couvert encore des ténèbres d’une superstitieuse ignorance, ce qui n’a paru longtemps qu’un rêve philosophique, ce que les progrès rapides des sociétés et des lumières donnent aujourd’hui l’espoir de voir réaliser par les générations prochaines et peut-être commencer par nous-mêmes[1]. » A en croire Macaulay, non moins enthousiaste que Condorcet de la conception de Bacon, « quelques portions, et ce ne sont pas les moins extraordinaires, de cette glorieuse prophétie se sont déjà accomplies même à la lettre, et la prophétie tout entière, à ne consulter que son esprit, s’accomplit chaque jour autour de nous[2]. »

Nous en sommes encore à l’espérance qu’avait Condorcet de voir se réaliser par les générations prochaines ce que Fontenelle a appelé le roman d’un sage. Si la prophétie déjà s’accomplit, comme le dit Macaulay, c’est sans doute plutôt au sein de la Société royale de Londres que dans l’Institut national de Paris. Il y a certainement des moyens de travail à la disposition des membres de notre Académie des Sciences ; ils ont des laboratoires particuliers, ou bien ils ont accès dans ceux de quelques grands établissemens scientifiques, à la Sorbonne, au Collège de France, à l’École normale. Mais l’Institut n’a pas un laboratoire à lui, un laboratoire qui devrait être le modèle de tous les autres, qui les dépasserait par les ressources

  1. Fragment à la suite des Progrès de l’esprit humain.
  2. Essais politiques et philosophiques, trad. par Guillaume Guizot.