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les aventures de l’arbitraire, de la conquête et des partages, la France n’a point à s’en mêler ; elle n’a aujourd’hui qu’à demeurer une spectatrice discrète, attentive, pas aussi indifférente qu’on le croit, mais patiente, avec la conviction intime que les œuvres violentes sont sans durée.

L’année, qui a vu bien des crises de toute sorte dans plus d’un pays, n’aura point passé pour l’Italie sans lui laisser, à elle aussi, une crise ministérielle de plus qui ne vient de se dénouer que pour recommencer peut-être bientôt. Voici neuf mois à peine qu’est venu au monde un ministère de la gauche entièrement composé de représentans d’une majorité sortie des élections. Le pays s’était prononcé ; le roi Victor-Emmanuel n’avait point hésité à se séparer du cabinet de M. Minghetti, pour appeler au pouvoir le chef de la gauche, M. Depretis, personnage considéré et fort modéré d’ailleurs, vieux Piémontais très dévoué à la monarchie constitutionnelle. Le roi Victor-Emmanuel n’avait pas seulement appelé au ministère M. Depretis, il avait accepté des hommes d’une couleur bien plus tranchée, M. Nicotera, qui, tout ancien garibaldien qu’il est, ne s’est pas montré moins bon monarchiste au pouvoir, M. Zanardelli, un Vénitien aux opinions assez vives, M. Mancini, un avocat éloquent aux idées humanitaires. La majorité sur laquelle s’appuyait ce ministère était immense, puisque la droite ne comptait plus dans le parlement qu’une centaine de représentans conduits par un homme habile, M. Quintino Sella.

Qu’est-il arrivé ? C’est l’histoire éternelle. La majorité s’est divisée, et il y a quelques jours, à la reprise de la session, la division a éclaté à propos d’un incident presque puéril, quelques télégrammes interceptés par le ministre de l’intérieur. Le cabinet n’a pas été mis en minorité, mais il n’a eu au scrutin qu’une vingtaine de voix de majorité. La vérité est que le ministre de l’intérieur, M. Nicotera, a soulevé contre lui une forte opposition, et, d’un autre côté, il y a dans la majorité italienne d’assez vifs dissentimens au sujet des chemins de fer que les uns, M. Depretis en tête, veulent laisser à l’industrie privée, que les autres veulent réserver à l’exploitation de l’état. De là ce partage de voix de l’autre jour, dont la première conséquence a été la retraite de M. Nicotera. Reconstituer le ministère au milieu de toutes les prétentions personnelles et des conflits d’opinions au sujet des chemins de fer n’était pas chose facile. M. Depretis paraît y être arrivé en conservant quelques-uns de ses collègues, en appelant M. Crispi au ministère de l’intérieur et en gardant pour lui-même le ministère des affaires étrangères, que quitte M. Melegari. C’est le dénoûment de la crise ; mais le ministère de Rome va-t-il se trouver plus fort ? C’est la question que l’année nouvelle résoudra sans que la paix intérieure et extérieure de l’Italie en soit troublée, sans que la nature de ses relations avec les autres pays en soit altérée ou modifiée.

CH. DE MAZADE.