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l’Allemagne du nord, de l’Autriche-Hongrie, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de la Russie et de la Turquie, réunis aujourd’hui en conférence, reconnaissent que c’est un principe essentiel du droit des gens qu’aucune puissance ne peut se délier des engagemens d’un traité ni en modifier les stipulations qu’à la suite de l’assentiment des parties contractantes au moyen d’une entente amiable… »

Que faut-il de plus ? C’est ce droit reconnu, sanctionné, qui domine tout, qui est le seul point de départ possible dans les complications de l’Orient. Hors de là, encore une fois, il n’y a plus que la souveraineté du but et de la force. Nous rentrons dans une ère de fer où chacun, s’il en a les moyens, peut prendre sa Silésie ou son Arménie, ou sa Bulgarie ou autre chose. À voir par instans l’état de l’Europe, nous paraîtrions revenus à cette période du dernier siècle où Frédéric II, après l’entrevue de Neisse, justement à propos d’une guerre d’Orient, jouait si bien son rôle entre la Russie et l’Autriche, se servant de l’une et de l’autre, pour finir par le partage de la Pologne.

Assurément, c’est un rôle digne de l’Angleterre de ne pas laisser prescrire le droit européen, d’exercer une action modératrice, et il est trop clair qu’elle ne remplirait pas ce rôle si, comme certains politiques le lui suggèrent, elle se bornait à prendre sa part du butin oriental, sous le nom de gage ou de garantie ; elle ne serait qu’un acteur de plus dans le drame de la force. Si elle se dispose à appuyer les conseils d’une certaine démonstration de puissance, elle n’a point sans doute uniquement en vue une occupation de l’Égypte, qui ne pourrait que précipiter ou aggraver la confusion. L’Angleterre aura d’autant plus d’autorité qu’en défendant l’intérêt anglais elle reste la gardienne de l’intérêt général de l’Europe. En proposant ou en préparant une médiation utile, elle ne fera que prendre une initiative prévue, prescrite par les traités. Elle aura exprimé un sentiment universel, elle aura donné un signal qui, malgré tout, sera entendu dans le camp des belligérans comme parmi ceux qui redoutent le développement de la guerre. C’est un commencement. Et la France, dira-t-on, n’a-t-elle rien à faire ? De toutes les puissances aujourd’hui, la France, on peut le dire, est la plus désintéressée, et c’est parce qu’elle est désintéressée, ou, en d’autres termes, parce qu’elle ne voit aucune nécessité de s’engager dans l’inconnu, dans l’obscurité, qu’elle est tenue à une extrême réserve de diplomatie. Elle peut avoir son opinion, elle a ses traditions, elle a pour le moment avant tout à s’occuper d’elle-même, sans se livrer à des diversions périlleuses, sans se laisser détourner du but que ses malheurs lui ont fixé. S’il est des cabinets qui veulent travailler à la paix par des transactions équitables, qui s’efforcent de maintenir les principes, les garanties du droit européen, la France sera certainement avec eux. Elle joindra sa voix à leur voix dans l’intérêt de la paix et de l’ordre général. Si on prétend rester ou s’engager de plus en plus dans