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médiation, jusqu’à quel point elle est ou elle n’est pas encouragée par certaines puissances, d’où peut venir enfin, sous quelle forme peut sa produire, une sérieuse et efficace initiative de pacification.

Rien n’apparaît jusqu’ici bien distinctement. Tandis que la Russie s’enfonce de plus en plus dans son aventure et a tout l’air de ne plus admettre aucun intermédiaire entre elle et la Turquie, l’Allemagne semble la couvrir, sans dire, il est vrai, jusqu’où iront ses encouragemens et sa tolérance. L’Autriche, serrée entre l’Allemagne et la Russie, se réserve pour la défense des « intérêts autrichiens, » que le comte Andrassy se fait toujours fort de garantir à la paix, et en attendant elle laisse aller les événemens militaires. L’Angleterre seule parait maintenant s’émouvoir à demi, prendre au sérieux la proposition de médiation turque, et si jusqu’à présent dans le ministère il y a eu deux partis, l’un plus résolu à l’action, l’autre plus réservé, plus attaché à une neutralité absolue, les deux opinions se sont trouvées d’accord pour convoquer le parlement d’une manière un peu extraordinaire au 17 janvier. D’ici à trois semaines, la situation sera peut-être à demi éclaircie. Le cabinet de Londres aura vu ce qu’il peut ou ce que les circonstances lui imposent.

Le malheur est qu’à l’heure où nous sommes, dans cette grande affaire d’Orient, comme en bien d’autres choses, la force seule semble régner. On dirait parfois qu’il n’y a plus ni tradition de solidarité, ni règles protectrices de l’équilibre de l’Europe et des intérêts généraux. Le droit des gens, on ne sait ce qu’il devient, il se perd dans la confusion. La Russie se déguise visiblement à elle-même la nature de son entreprise sous le voile de cette régénération orientale qu’elle poursuit toujours. Elle a l’air de croire que, par la guerre qu’elle a déclarée, elle est affranchie de ses obligations dans les affaires d’Orient, et que, les hostilités une fois ouvertes, elle est libre vis-à-vis de l’empire ottoman, elle peut aller jusqu’au bout. La Russie oublie que ce n’est pas vis-à-vis de la Turquie seule qu’elle est liée ; c’est avec l’Europe tout entière qu’elle est engagée par cet article d’un traité solennel : « Les parties contractantes s’engagent, chacune de son côté, à respecter l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’empire ottoman, garantissent en commun la stricte observation de cet engagement, et considèrent en conséquence tout acte de nature à y porter atteinte comme une question d’intérêt général… » Il y a mieux : lorsque la Russie a voulu se libérer de quelques-unes des obligations de ce traité de Paris relatives à la neutralisation de la Mer-Noire, elle s’est adressée elle-même aux puissances ; elle a provoqué la réunion d’une conférence à Londres, elle a précisé les points sur lesquels elle réclamait une révision, confirmant de nouveau et librement tout le reste du traité, et elle a signé de son nom cette déclaration, qui date de 1871, d’un moment où la France n’était rien : « Les plénipotentiaires de