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du drap dit de sous-officier devrait avoir la couleur bleu foncé de celle des officiers.

Leur armement comporterait des modifications plus profondes, et j’entre à cet égard dans quelques explications nécessaires. Au temps passé, la préoccupation de l’éclat, dans les choses de l’armée, l’emportait trop souvent sur la préoccupation de l’utilité. C’est ainsi que, pour les officiers des troupes à pied, le sabre léger de cavalerie, fixé au ceinturon par un crochet, flottant, bruyant, incommode au plus haut point dans les mouvemens de vitesse, fut substitué à l’arme vraie de l’infanterie, l’épée à fourreau de cuir tombant à plat et fixée sur la cuisse par le baudrier. Pour le soldat, la baïonnette légère et courte, très suffisante à l’offensive et à la défensive du fantassin dans la mêlée, silencieuse dans son fourreau de cuir quand, à la guerre, l’infanterie tente la nuit une opération de surprise, fut remplacée par le monstrueux appareil qu’on appela la baïonnette-sabre[1] à fourreau massif de métal. Il accablait de son poids le soldat déjà surchargé, gênait ses allures rapides, et son tintement métallique, dénonçant de loin à l’ennemi les mouvemens des troupes en marche, rendait les surprises impossibles. Enfin il transformait le fusil, l’arme de jet par excellence, l’arme du combat à distance, en une arme de main redoutable surtout dans la lutte corps à corps, dans ce combat à la baïonnette que la légende française a rendu fameux et qui est cependant si rare que des officiers vieillis dans la guerre ne l’ont jamais vu.

Cette courte digression technique sur l’armement de l’infanterie n’a pas d’autre but que de compléter la justification du vœu que j’émets ici : l’épée sera rendue aux officiers des troupes à pied. Tous les sous-officiers la porteront, et le port de l’épée sera la ligne de démarcation spéciale et caractéristique qui séparera désormais leur rôle dans l’armée du rôle des hommes de troupes (caporaux et soldats)[2]. J’insiste expressément sur cette proposition, qui n’est pas importante seulement au point de vue particulier où je me suis placé jusqu’ici. Elle l’est sous un autre rapport qui n’a pas été, que je sache, encore étudié et qui méritait de l’être : que pour les exercices de la paix, ceux qui ont pour objet l’instruction dont les sous-officiers sont chargés et les manœuvres où ils ont les fonctions de guides déterminant les alignemens, les sous-officiers des troupes à pied portent par exception le fusil, rien de plus naturel et de plus nécessaire. Mais qu’à la guerre, dans le combat (1)

  1. Elle vient d’être remplacée à son tour par une baïonnette beaucoup plus légère et plus maniable, à laquelle par malheur on a conservé le fourreau métallique.
  2. Les sous-officiers de l’arme du génie, si dignement fidèle aux bonnes traditions militaires, l’ont conservée. Si on leur retirait l’épée, on ne trouverait plus de sous-officiers pour ce corps d’élite.