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le développement de l’enseignement supérieur. Il l’avait longtemps laissé au point même où il l’avait trouvé, ne paraissant pas se douter qu’il mettait ainsi en souffrance les intérêts sociaux les plus élevés. Durant cette période du gouvernement impérial, le rapide accroissement des sciences naturelles et biologiques transformait toute une partie capitale de l’enseignement supérieur. Demeurer immobile dans les erremens du passé, c’était bientôt se condamner à se trouver en arrière. Autour de nous, les autres croissaient et se fortifiaient ; l’Allemagne surtout multipliait ses moyens d’étude, se couvrait de laboratoires, augmentait le nombre de ses chaires, grandissait la situation de ses professeurs, fomentait, dans chacune de ses universités, une vie intense, qui de là rayonnait, et surexcitait l’orgueil national. Nous assistions à ce spectacle sans en pénétrer la portée. Nous nous sentions tellement assurés de nos gloires passées qu’elles nous paraissaient remplir encore le présent, et il ne nous semblait pas possible que notre vieille suprématie pût être ébranlée.

Ce qui pouvait contribuer à nourrir nos illusions, et à nous tromper sur l’état de misère où nous tombions peu à peu, c’est que, malgré tout, la science française faisait encore grande figure. L’activité ingénieuse et féconde de l’esprit français semblait avoir le don de suppléer aux ressources qui lui manquaient. Elle se créait quelque obscure et pauvre retraite d’où sortaient cependant d’éclatantes découvertes. Quels étaient en effet les laboratoires où s’élaboraient les travaux de la physiologie française, ceux, en particulier, de M. Claude Bernard ? Quels étaient les amphithéâtres où se préparaient les recherches anatomo-pathologiques de la médecine française, celles de Cruveilhier qui restent comme un étonnant modèle ? Cependant la science française était menacée ; les moyens d’étude lui manquaient, surtout en fait d’études expérimentales, et l’expérimentation est un élément essentiel du progrès scientifique. La science ne peut prospérer lorsque l’un de ses élémens de progrès vient à faire défaut. Voilà ce que disaient ceux-là mêmes qui, par leurs travaux, semblaient donner un démenti à de telles plaintes. Ces travaux, ils les montraient arrêtés ou incomplets par le défaut d’organisation et de puissance de nos instrumens de travail. Ils ajoutaient, en outre, que si, à la rigueur, ils avaient pu suffire à mener à fin quelques recherches personnelles, ils ne pouvaient enseigner, former des générations scientifiques pleinement instruites et assurant l’avenir de la science française. Ces plaintes ne pouvaient ne pas être entendues ; elles étaient déjà comprises par quelques-uns avant nos désastres ; après, elles émurent tous les esprits. Tous les corps électifs, les grands corps savans, les chambres, les assemblées municipales des grandes villes, les