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Mon père prêta serment comme pair de France, non sans quelques scrupules que sa raison et son amour du pays firent taire. La veille de la séance, il avait rencontré M. le prince de Laval-Montmorency, qui lui avait exposé au long toutes les raisons qui devaient, suivant lui, porter tous les gens raisonnables à se grouper autour du gouvernement nouveau. Cependant il se trouva que le lendemain il se refusa à prêter serment. « Qu’est-ce qui vous a pris ? lui dit mon père, la première fois qu’ils se retrouvèrent ensemble ; ne m’avez-vous pas engagé fortement à continuer de siéger à la chambre des pairs ? — Ah ! moi, c’est différent, un Montmorency ! vous comprenez ? — Je ne comprends pas du tout, répondit mon père, et je trouve votre raison plus que singulière. » Le prince se mit à balbutier, comme c’était assez son habitude.

Mon père prêta le concours le plus constant à toutes les mesures qui pouvaient consolider le gouvernement de 1830, mais l’abolition de l’hérédité de la pairie, et la nomination successive d’un grand nombre de pairs nouveaux qu’il ne connaissait pas, lui firent perdre peu à peu son entrain pour les affaires publiques. Ce fut par devoir, ce ne fut plus par inclination qu’il suivit les débats de la chambre. Après la mort de sa mère, en 1836, il prit pour la campagne qu’il avait toujours beaucoup aimée, et pour la terre de Gurcy dont il était devenu possesseur, un goût encore plus prononcé. Il en revenait le plus tard possible, et y retournait aux premiers beaux jours. Rien ne lui plaisait tant que la vie régulière et paisible qu’il s’y était faite. Quand nous étions tous réunis avec quelques amis, il se sentait parfaitement heureux.

C’est le 1er novembre 1846, anniversaire du jour de sa naissance et de la mort de mon grand-père, que j’ai perdu mon père à Gurcy. L’inflammation de la gorge qui l’a enlevé fit, dès le second jour, les plus terribles ravages et le priva de l’usage de la parole. Il ne garda dès lors aucune illusion sur son état et l’envisagea sans trouble. Il prit affectueusement les mains de ma mère et les mit dans les miennes, embrassa tendrement ma femme et mes enfans et demanda le curé du village. Son regard semblait prendre congé de chacun, et ses lèvres nous souriaient encore quand déjà son visage portait les traces de sa fin prochaine ! ..

« Votre père est une créature aimée du ciel, m’avait dit plusieurs fois Mme de Broglie, qui lui portait une véritable affection, et la paix de Dieu règne dans son âme à son insu. » Cette paix intérieure ne fut jamais plus visible qu’à ses derniers momens.


Cte D’HAUSSONVILLE.