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les péripéties de la campagne de France avaient amené l’empereur Napoléon tout près de Gurcy. Le 18 janvier 1814, il avait couché au château de Nangis ; il en était parti le 19 de très bonne heure, anxieux d’apprendre les nouvelles de ce qui s’était passé à Montereau, d’où le général Pajol avait reçu ordre de chasser les Prussiens et les Wurtembergeois. Arrivé à trois lieues de Nangis, au carrefour des routes de Donnemarie et de Montereau, l’empereur descendit de cheval et se fit allumer un feu de bivouac sur un des côtés du grand chemin, au coin de l’avenue de Gurcy, près d’une rachée d’acacias que j’ai fait conserver. Avec la connaissance parfaitement exacte qu’il avait du pays, il ne se souciait pas de continuer sa marche jusqu’au village de Salins, situé dans un fond entre deux pentes assez abruptes, parce que les Prussiens pouvaient avoir intercepté la route en cet endroit. Il soutenait avec raison qu’il devait y avoir moyen de se rendre par des chemins de plaine jusqu’à Montereau. Dans son état-major, personne ne pouvait lui donner à cet égard une assurance positive : « A qui sont ces bois ? — A M. d’Haussonville, répondit M. de Mortemart, qui faisait en ce moment près de lui les fonctions d’officier d’ordonnance, et le château est à une demi-lieue d’ici. — Allez-y prendre les informations dont j’ai besoin. » M. de Mortemart partit, mais il fut reçu à coups de fusil par un corps détaché de Prussiens qui avaient coupé l’avenue et passé la nuit dans les taillis qui la bordaient. M. de Mortemart revint. « M. d’Haussonville est grand chasseur, il doit y avoir des gardes ici connaissant bien les environs ; qu’on aille les chercher. » Un de nos gardes faisait justement partie des groupes de paysans qui regardaient curieusement l’empereur. Il s’avança et donna les renseignemens désirés. Pendant ce temps-là arriva le courrier du général Pajol apportant la nouvelle de la déroute des Prussiens au pont de Montereau.

Depuis que je suis devenu propriétaire de Gurcy, j’ai toujours eu l’intention d’élever une pierre commémorative en cet endroit et d’y mettre la date du jour où l’empereur Napoléon Ier y apprit le dernier succès réservé à ses armes. Je n’ai point voulu le faire sous le règne de Napoléon III. Le régime impérial était trop à la mode. Qui sait ! on aurait peut-être pris cela, de ma part, pour un acte de courtisanerie. Depuis j’ai hésité, mais pour un autre motif. Qui sait encore ? Peut-être cela passerait-il aujourd’hui pour un acte d’hostilité contre la république ? Bref, le monument est encore à élever. Si j’attends que les passions des partis soient éteintes ou que les sottes interprétations aient cessé d’avoir cours, cela pourra me retarder longtemps.

Mon père ne fut ni bien ni mal reçu à la nouvelle cour. La