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Beaumarchais d’abord contre mon grand-père le comte de La Blache, puis contre le juge Goëzman. A Paris comme à la. campagne, mes parens recevaient habituellement chez eux la meilleure compagnie du temps ; on jouait souvent la comédie à Plaisance, et les représentations de cette troupe d’amateurs avaient quelque succès.

Après son mariage avec Marie-Louise, quand l’empereur songea à se former une cour nouvelle qui ne différât pas trop de l’ancienne, mon père se trouva par son nom et par sa position assez naturellement, désigné. Un matin, il apprit qu’il venait d’être nommé chambellan en même temps que MM. de Montesquiou, de Noailles, de Montalembert, de Beauvau, de Gontaut, etc. L’émotion était très grande parmi les familles du faubourg Saint-Germain. Jamais coup d’état ne les avait touchées d’aussi près. Que résoudre ? accepter ou refuser ? Accepter, c’était rompre avec son parti, risquer de se brouiller avec un monde à l’esprit caustique et d’humeur peu tolérante. Affronter la mauvaise humeur de l’empereur ; pas moyen d’y songer. Combien de secrets conciliabules furent tenus pour décider cette embarrassante question ! Mon père ne consulta personne. Sa femme lui avait demandé d’agir comme bon lui semblerait, prête à accepter les conséquences de sa détermination. Mon père avait peu de goût pour les fonctions qu’on lui jetait à la tête. Il demanda, mais en vain, qu’on lui donnât un grade dans l’armée ; il était évident qu’on tenait moins à l’avantage politique d’attacher au régime nouveau une certaine classe de la société qu’au plaisir assez frivole de se composer un entourage aristocratique ; on voulait surtout faire reparaître les anciens noms à la nouvelle cour. Quoi qu’il en fût, mon père, en acceptant, entendit prendre une détermination sérieuse et sincère ; il dédaigna de se représenter comme contraint et forcé. Il regardait comme au-dessous de lui de dénigrer, dans le particulier, le souverain qu’il allait servir en public, et de faire secrètement opposition au régime auquel il venait de se rallier.

Les chambellans furent présentés en masse à l’empereur. Après la présentation, le grand maréchal du palais, Duroc, lui demanda quelles personnes il désignait pour commencer le service de semaine : « Cela m’est égal, dit l’empereur. — Mais enfin ? — Eh bien ! prenez le blanc et le crépu. » Le crépu c’était M. le comte de Labriffe, le blanc c’était mon père, qui, très blond dans son enfance, avait passé en peu d’années du blond au gris, du gris au blanc et n’en avait pas moins conservé une grande jeunesse de visage et de tournure. Ce contraste le faisait remarquer au premier abord. Au moment où il venait de faire cette fournée de chambellans, : l’empereur voulut ajouter, au plaisir de créer une nouvelle