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quelques dames de la cour, leurs maris et leurs frères, quelques gentilshommes de la maison du roi, tout ce qu’on a depuis appelé la coterie de la reine, assistait au jeu des enfans et s’y mêlait. On dansait avec eux, on jouait avec eux des charades et des petites comédies. Les enfans retirés, les mêmes divertissemens se prolongeaient avec un égal entrain et, de la part de la reine, avec cet entier abandon qui lui plaisait tant, qui l’a fait si fort aimer par ses serviteurs, et si sévèrement juger par le public. Mon père, plus âgé que la plupart des autres enfans, était habituellement retenu par la reine pour jouer quelque rôle dans ces petites pièces improvisées. Un enfant de treize à quatorze ans ne pouvait être un observateur bien clairvoyant ; ce n’était pas non plus un témoin dont on se fût défié.

J’ai toujours entendu dire à mon père, dont les souvenirs d’enfance étaient très précis, que l’aspect de ces réunions était des plus innocens ; que la reine s’y comportait avec une grâce et une convenance exquises ; qu’entre ces femmes, la plupart si jeunes, quelques-unes si belles, et le petit nombre d’hommes admis dans leur intimité, le ton le plus parfait ne cessait de régner. On affectait de s’affranchir de l’étiquette parce que la reine le voulait. On faisait mine de la traiter comme toute autre femme parce que c’était une manière détournée de lui faire sa cour ; mais le respect demeurait entier à travers cette familiarité de convention, et la retenue se faisait encore sentir sous ce feint abandon. La reine seule parvenait à se faire illusion. Elle se félicitait avec une entière bonne foi d’avoir introduit à la cour de France les usages de la débonnaire Autriche. Suivant mon père, dans ce cercle si réduit, composé de ses intimes les plus privés et les plus à sa dévotion, son attitude était celle d’une femme soigneuse de ses devoirs, attachée à son mari, que son intérieur trop grave incommodait un peu, et qui allait chercher au plus près et au moindre risque possible les distractions naturelles à son âge. Des hommes qui passaient pour aimables et qui étaient alors à la mode y furent peu à peu introduits. Ils étaient bien accueillis de la reine ; mais aucun ne parut jamais avoir été particulièrement distingué par elle. Ainsi, beaucoup de laisser-aller, pas mal d’étourderie, peut-être un peu de coquetterie, mais une coquetterie générale et sans but, nulle apparence de manège, aucune ombre d’intrigue ; voilà tout ce qui apparut aux yeux de mon père. C’est dire qu’il n’a jamais ajouté foi aux attachemens ou sérieux ou frivoles qu’on a prêtés à la reine Marie-Antoinette. Il traitait ces bruits de folies et de sottises. On le mettait de mauvaise humeur quand on paraissait y croire.

A l’âge de quatorze ans, mon père reçut pour ses étrennes un