Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le cercle des lois constitutionnelles. » En tant que cette déclaration se rapporte à la lettre du système et de la théorie, je la tiens pour entièrement fondée.

« Au point de vue de la pure théorie constitutionnelle et de la lettre de la loi, le désir qu’avait le roi de conserver son ministre aussi longtemps que possible était aussi peu blâmable que la résolution prise par le ministre de ne céder à ses adversaires qu’après avoir épuisé tous les moyens de droit pour le maintien de ses doctrines. Il avait eu constamment la majorité parlementaire et numérique, une majorité considérable. Cette majorité était parfaitement dévouée au ministre, et résolue à prêter au gouvernement tout l’appui dont elle pouvait disposer, dussent même quelques-uns de ses membres les plus importans sacrifier pour cela leurs opinions et convictions. Ainsi, d’après la lettre de la loi, le premier souci du roi devait être de conserver le ministre, et par lui la majorité. Rien de si naturel et de si correct.

« La doctrine des majorités constitutionnelles a été établie en Europe d’après la pratique du seul pays qui ait eu depuis longtemps une existence constitutionnelle, — une existence dans laquelle, comme dans la vie de l’individu, la santé est la règle, tandis que les manifestations morbides passagères forment l’exception. Or pourquoi l’observation de cette règle n’a-t-elle pas produit en France ce qu’elle aurait certainement produit en Angleterre ? Si la règle a refusé le service en France, je n’accuse pas de ce refus une infirmité qui soit inhérente à la règle, j’accuse la fausse application, l’application inopportune qui en a été faite à un état irrégulier et morbide.

« En droit, la France avait une constitution et un roi irresponsable ; en fait, elle avait un roi qui, depuis le commencement de son règne, avait travaillé à détruire cette fiction de l’irresponsabilité, et qui, par cette conduite, avait assumé en face du peuple une responsabilité dont l’effet demeurait le même, soit qu’il eût réellement atteint son but, soit qu’il eût simplement paru l’atteindre. — En droit, la France avait des ministres responsables ; d’après le jugement de l’opinion publique, elle avait des ministres qui avaient constamment abandonné au roi leurs prérogatives constitutionnelles, et ce jugement produisait le même effet, soit que les ministres fussent réellement coupables de cette faute, soit qu’ils ne le fussent qu’en apparence. — En droit, la France avait dans une chambre légalement élue un organe convenable pour la voix de l’opinion, pour ses désirs et ses plaintes ; en fait, elle n’avait qu’une assemblée législative, réunie de telle façon par l’influence et l’art du gouvernement que les décisions de sa majorité étaient bien l’écho des désirs du pouvoir, mais ne pouvaient être l’expression des besoins, des vœux, des réclamations du peuple.

« Mon argumentation n’a pas besoin de poursuivre l’exposé de ce registre en partie doublé ; cet exposé serait trop long, si je voulais le