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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 décembre 1877.

Que faut-il donc croire et de quel côté faut-il chercher la lumière dans cet amas de contradictions, de confusions, de ténèbres dont nous avons marché trop longtemps environnés? Où prétendait-on nous conduire avec ces guerres de pouvoirs, ces conflits arbitraires, ces résistances incohérentes, ces ministères faits et défaits dans l’ombre des conciliabules anonymes? Quel mauvais destin s’est acharné sur une nation paisible qui n’a rien fait pour mériter d’être ainsi traînée à travers les hasards les plus redoutables ?

Non, en vérité, même pour un pays qui a connu bien des épreuves de toute sorte, qui a couru bien des aventures, il n’y eut jamais rien de plus bizarre, de plus triste et de plus humiliant à la fois que ce qui s’est passé depuis six mois, surtout depuis six semaines. Car enfin, voilà la monotone et cruelle existence faite à une grande nation qui aurait droit à plus de respect! Depuis les élections et plus encore depuis la réunion du parlement, on a tenu la France dans l’attente de toutes les surprises et même de toutes les extrémités; on l’a soumise à ce régime étrange d’une incertitude chronique sur ses propres destinées. La France en était là vraiment : elle ne savait plus le soir ce qu’elle deviendrait le lendemain, si elle aurait un gouvernement ou quel serait ce gouvernement; elle a été réduite à recueillir les échos de ce qui se passait à l’Elysée ou dans un couloir de parlement, à se demander si elle échapperait à une dissolution nouvelle de la chambre des députés, à un coup d’état ou au refus du budget, et si elle ne reviendrait pas brusquement, comme on s’est plu à le dire, à « l’état de nature » par la suspension de toute vie régulière. Depuis deux mois, cette situation se prolonge, et pendant ce temps tout languit et s’énerve; la défiance se propage, le sentiment de la sécurité s’altère, la fortune publique est attaquée dans sa source. De toutes parts s’élève le cri du commerce paralysé, de l’industrie en souffrance, des intérêts méconnus, du travail exténué. De