Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une telle sensation de lointain. Les fonds sont si légers, si vaporeux, qu’on les croirait gravés avec le bec d’une plume de colibri. Dans son œuvre, M. Bida a d’ailleurs toujours été admirablement secondé par les graveurs. MM. Flameng, Lalauze, La Guillermie, Hédouin, Lerat, Gaucherel, ont rivalisé de puissance et de sentiment, de finesse de pointe et de sûreté de trait, de couleur et d’effet. Les graveurs sur bois ne méritent pas moins d’éloges. Ils ont traité dans un style simple et large les petites compositions, pour les en-tête, les culs-de-lampe et les lettres ornées, que l’archéologie égyptienne a inspirées à M. Bida : pyramides et hypogées, sphinx et idoles, momies et sarcophages, harpes et sistres, cimeterres et carquois, colliers de scarabées et chasse-mouches en forme de feuille de lotus, chars de guerre entraînant les guerriers vers les champs de bataille et longs bateaux funèbres conduisant les morts aux lointaines nécropoles.

On lira toujours le Premier Faust, mais même si on cessait de lire le grand drame de Goethe, il inspirerait encore les artistes. Cette trinité tragique, Méphistophélès, Faust, Marguerite, appartient à l’art comme à la poésie. Où trouver dans les conceptions modernes trois types à la fois plus unis et plus variés, d’un caractère plus original, d’une individualité plus tranchée, d’un symbolisme plus plastique ? C’est l’alliance du réel et du fantastique, de la vie et du rêve. C’est l’évocation même du XVe siècle avec des visions sur l’infini. Méphisto, ce satan gentleman, est aujourd’hui le seul personnage de l’enfer qu’un peintre puisse décemment présenter au public. Faust n’est pas moins pictural sous sa houppelande de docteur que dans son costume de cavalier. Pour Gretchen, la peinture a composé ses litanies : Marguerite à l’église, Marguerite au rouet, Marguerite à la fontaine, Marguerite au cachot. M. Liezen Mayer, qui de nouveau a illustré Faust, est venu après Eugène Delacroix, après Tony Johannot. Le souvenir du maître de la palette était écrasant, celui du maître de l’illustration était redoutable. L’artiste allemand ne s’en est point effrayé. Il a pensé qu’on pouvait interpréter Faust autrement que par la fougue romantique de Delacroix et la poésie de Johannot. Il a cherché l’expression de la réalité dans l’exactitude des costumes et du décor, dans l’attitude naturelle des figures, dans le caractère juste des physionomies. Le Faust de Delacroix est le rêve inspiré par la lecture du poème ; le Faust de Liezen Mayer est le souvenir de la représentation du drame — ou de l’opéra. Les gravures sur acier sont d’une belle exécution ; le faire est large, la couleur est vigoureuse. Les figures sur bois, particulièrement les en-têtes et les culs-de-lampe, composées dans le style allégorique de Kaulbach et gravées à la manière ancienne, pour ainsi dire au trait, ont un vrai caractère d’art. Les filets rouges qui encadrent les pages sont une heureuse renaissance. On croit voir un de ces beaux exemplaires réglés du XVIe siècle.