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différence que le graveur à l’eau-forte marque en creux ce qui doit être noir sur l’épreuve, tandis que l’héliographie, qui d’ailleurs donne aussi des planches en creux, laisse généralement en relief, comme le fait le graveur en bois, ce qui doit marquer en noir. On fait des clichés sur empreintes avec lesquels on tire ces planches typographiquement.

Rendons justice au présent; pour cela, ne soyons pas injustes envers le passé. S’il est indéniable que les nouveaux procédés de l’industrie permettent de varier l’ornement des livres, de publier à moins de frais des éditions ornées de nombreuses gravures, de donner eux publications de luxe un aspect de richesse et de somptuosité inconnu autrefois, il n’est pas certain que l’illustration des livres ait beaucoup gagné à tous ces progrès et qu’elle ait aujourd’hui une valeur d’art plus sérieuse que jadis. L’héliographie ne reproduit pas les anciennes planches avec leur finesse de taille et leur fraîcheur de première épreuve. Multipliât-elle ses pierres à l’infini, la chromolithographie n’atteindra jamais à l’harmonie et au moelleux des gravures en couleur de la fin du XVIIIe siècle, exécutées pourtant avec quatre planches seulement. La taille-douce a-t-elle plus de fermeté et plus de caractère qu’au temps de Nanteuil et d’Audran, plus d’effet et plus de charme qu’au temps de Lemire et de Lebas? L’eau-forte est-elle plus lumineuse, plus pittoresque, plus spirituelle, plus vive que sous la pointe de Callot et de Choffart? Enfin la gravure sur bois n’est-elle point en pleine décadence? Non par la faute des graveurs, dont le talent est hors de cause, mais parce qu’on a faussé son principe. Le but de la gravure en bois est de reproduire exactement le dessin du maître. Aussi, jusqu’à il y a vingt ans, les artistes dessinaient-ils leurs figures sur le poirier ou sur le buis avec le soin le plus scrupuleux, ligne par ligne, trait par trait, hachure par hachure. Albert Dürer, dit-on, poussait plus loin encore la conscience du dessinateur ou peut-être la défiance du graveur. C’était lui-même qui, avant de donner son bois à l’ouvrier, cerclait chaque contour d’une entaille de canif. De cette façon, le graveur était l’esclave absolu du peintre. Aujourd’hui trop de dessinateurs en prennent plus à leur aise. Sans aucunement préparer le travail du graveur, laissant tout à son initiative, ils se contentent de laver leurs compositions à l’encre de chine avec rehauts de blanc, et c’est au graveur qu’il appartient d’en rendre l’effet par la combinaison des tailles. On obtient ainsi de très belles gravures, mais qui n’ont plus du tout l’attrait et le caractère d’une œuvre originale. On n’y sent pas la main du maître. Dans la reproduction des tableaux, des statues, des objets d’art, des monumens, la gravure en bois a dévié aussi de sa voie naturelle en s’efforçant d’atteindre à la finesse de taille du burin, aux mirages de clair-obscur de l’eau-forte. Elle y a réussi autant qu’on peut réussir dans une chose impossible, mais elle a perdu à cet essai son caractère ample et mâle. Ce