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expérimenté, esprit vif et plein de ressources, n’est pas spontanément enclin à faire prévaloir ses vues dans toutes les questions importantes ? Est-ce que ce n’est pas une conséquence des dons brillans qu’il a reçus ? et se peut-il qu’on lui en fasse un crime ? Non, certes ; mais en profitant de ces dons mêmes, en profitant de ces richesses naturelles d’un esprit supérieur, les ministres doivent prévenir les cas où elles deviendraient un danger public. Si les ministres cèdent toujours aux volontés du roi, eux qui sont mieux placés pour voir se former et s’accroître les mécontentemens, le jour où la politique du gouvernement a contre elle la majorité du pays, ce n’est pas un ministère qui est renversé, c’est une dynastie qui s’écroule.

Ces tentations d’excéder le droit souverain peuvent venir à tous les chefs d’état, aux sages comme aux fous, aux prudens comme aux téméraires. Peut-être même viennent-elles plus souvent à ceux qui ont le plus conscience de leur mérite. C’est précisément pour cela que, dans un état constitutionnel bien ordonné, la vigilance des ministres ne doit jamais faillir. L’Angleterre a donné sur ce point une longue suite d’exemples qu’on ne saurait assez méditer. Son histoire parlementaire, depuis le commencement du XVIIIe siècle, forme le plus étrange contraste avec la nôtre. Les rois de la maison de Brunswick ont eu beau commettre les fautes les plus graves, la dynastie a traversé toutes les épreuves. Et quelles épreuves ! des humiliations, des désastres, les plus terribles coups de la fortune. Nous ne parlons pas des deux premiers George, ces tudesques si peu sympathiques et auxquels il fallut arracher une à une les libertés nationales ; qu’on se rappelle seulement le règne de George III. Malgré la lutte des partis, malgré les violences de la polémique, de cruelles calamités ont frappé le pays sans donner aucune prise aux fureurs populaires. Ni la guerre d’Amérique, ni la perte des colonies à jamais séparées de la métropole, ni la fondation de cette grande république protégée par la gloire d’un Washington, ni les longues luttes contre la révolution française, ni les victoires de la république et de l’empire déjouant pendant plus de vingt années tous les efforts de l’Angleterre, n’ont porté atteinte à l’autorité royale. Ces malheurs ont pu troubler l’intelligence du roi, ils n’ont pas ébranlé son trône. Dira-t-on que la maladie même protégeait un souverain digne de commisération et de respect ? Nul respect, nul sympathie ne protégèrent son héritier. Le régent, qui fut depuis George IV, profita un instant de la chute de Napoléon ; mais bientôt, devenu odieux au pays par les hontes de sa vie privée, il attira sur lui des sentences formidables ; il fut attaqué à la chambre des communes et à la chambre des lords par les voix les plus graves, il fut dénoncé à l’indignation de tous par les immortelles invectives de lord Byron. Ses ministres mêmes, et Wellington