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Sans que par sa hautaine et sombre majesté
Le murmure lointain paraisse être écouté,
Allant droit au danger et certain d’y suffire,
Il descend le superbe escalier de porphyre
Sur la rampe duquel sont sculptés des dragons.

Clameurs. La lourde porte a roulé sur ses gonds;
Et, dans la brume d’or d’un grand soleil oblique,
Apparaît brusquement, sur la place publique,
Le flot bariolé des fez et des turbans ;
Et cette multitude aux milliers d’yeux flambans
Salue, en un seul cri de ses bouches sans nombre,
Le sultan radieux debout sous l’arche sombre.

Khalil, le vieux vizir, le suit à pas discrets;
Et Djem, l’eunuque noir, quelques instans après,
Survient et derrière eux, dans une morne pose,
Il se place, cachant dans un sac quelque chose.

Au seuil de son palais, le sultan fait trois pas;
Et, sur le peuple vil qui grouille et hurle en bas,
Avec tant de mépris son regard se promène
Qu’il force à reculer cette marée humaine.

— Que voulez-vous? dit-il d’un ton terrible et bref.

Mais les séditieux, à la voix de leur chef,
Sentent s’évanouir toute leur insolence.
Il s’écoule un moment de très profond silence,
Puis, de sa sombre voix qui tremble de courroux,
Le padischah demande encor :

— Que voulez-vous?

Alors un vieux soldat, un héros d’aventure.
Qui portait trois poignards passés dans sa ceinture,
Un vétéran du temps de Bayézid-Pacha,
Sortit des premiers rangs du peuple, il s’approcha
Du sultan et, levant sa face balafrée :

— Commandeur des croyans, dit-il, tête sacrée,
Nous t’appartenons tous à jamais, âme et chair.
Nous ne demandons rien, on nous paie assez cher,
Et mourir pour ta gloire est tout ce qu’on espère.
Mais permets au plus vieux des soldats de ton père,
Qui, sous lui, combattit avec quelque valeur
Scander-beg, Hunyade et Drakul l’empaleur,