Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Où fument des parfums sur quatre trépieds d’or.
Voluptueux et veule, il laisse errer encor
Son indolente main sur la guzla d’Epire;
Et celle qui commande au maître de l’empire
Et cause contre lui tant de rébellion,
Presque nue à ses pieds sur la peau d’un lion,
De ses longs cheveux noirs voile ses formes blanches.

Khalil, courbant le front et les mains sous ses manches,
Attend que de parler il obtienne loisir.

— Que veut, dit le sultan, mon fidèle vizir?
Pour venir me troubler ici, sans qu’on l’appelle,
L’instant est mal choisi... Car ma sultane est belle
Et je lui récitais des vers dignes d’Hafiz.

— Par Allah ! lui répond Khalil, ô noble fils
Du grand Mourad, cette heure est bien plus mal choisie
Pour l’ivresse amoureuse et pour la poésie.
Tes soldats révoltés vont forcer le palais.
Par ton aspect sublime, ô maître, apaise-les.
Hautesse, montre-toi. Fais-les par ta présence
Rentrer dans le devoir et dans l’obéissance.
Ils se rappelleront quels respects te sont dus,
Mais il faut te montrer, ou nous sommes perdus!

Pendant que le vieillard parle d’une voix grave,
Mahomet Deux sourit toujours à son esclave
Qui, prise d’un pudique et charmant embarras,
Contre lui s’est glissée et le tient dans ses bras,
L’effroi dans ses beaux yeux de pervenches fleuries
Et meurtrissant sa gorge aux rudes broderies
Du caftan de drap d’or où brûlent des rubis.

— Je rendrai ces mutins doux comme des brebis,
Dit le sultan. Je sais à quel point sont sincères
Le respect et l’amour de mes vieux janissaires.
Je boudais, voilà tout... On veut me voir... C’est bien.

Puis, faisant signe à Djem, l’eunuque nubien,
Qui goûte à tous ses plats et qui lèche la pierre
Sur laquelle on étend son tapis de prière,
Et déliant, avec un doux geste d’amant
Les bras qui le tenaient dans leur enlacement,
Il dit tout bas deux mots au nègre qui se penche
Et, suivi de son vieux vizir à barbe blanche,