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s’efforcent de prendre pied dans la politique. Voltaire négocie des alliances, et Beaumarchais renverse un parlement : de jour en jour leur influence grandit, leur importance augmente. Quand le seigneur de Ferney tient en main son brelan de rois, c’est lui qu’on courtise et qu’on caresse : ce n’est plus lui qui flatte. Un roi de Suède passant à Paris y recevra, comme un insigne honneur, la visite de Rousseau. Les façons deviennent familières jusqu’à l’inconvenance et jusqu’à la grossièreté. Diderot, « conversant entre hommes, » avec l’impératrice de Russie, dans la vivacité de la conversation, lui frappe démonstrativement sur la cuisse. La Harpe, si j’en crois une anecdote que raconte Chateaubriand, dînant chez les ministres, quand le menu ne lui convient pas, commande à voix haute une omelette philosophique. Vraiment la littérature est déjà leur moindre souci. C’est un événement politique que le Mariage de Figaro : s’il touche à la littérature, ce n’est que par occasion. En effet, jusqu’aux auteurs dramatiques, ce n’est plus seulement l’ambition de la célébrité qui les travaille et qui les consume : c’est l’ambition du pouvoir. Condorcet nous a livré naïvement leur secret : « C’est, dit-il, qu’un auteur dramatique est sous la sauvegarde des sociétés pour lesquelles le spectacle est un amusement ou une ressource. »

Aussi, quand éclate la révolution, jettent-ils là leur plume et se précipitent-ils tous dans la politique avec une sorte de fureur aveugle comme par une porte longtemps assiégée qui céderait sous l’effort et qui livrerait enfin le passage. La veille encore, pour devenir de rien ou de peu quelque chose ou quelqu’un, il fallait passer par la littérature : il est désormais inutile d’entreprendre cette voie pacifique et trop longue. La politique les conduira plus droit et plus vite au but. Qui s’amuserait maintenant à composer des Éloge de Fénelon ou des Panégyrique de saint Louis, mais surtout à raconter les Aventures du chevalier de Faublas? En vérité, c’est bien de cela qu’il s’agit ! l’abbé Maury gesticule à la tribune de la constituante, et Louvet sera demain de la convention. Fabre d’Églantine a oublié le chemin du Théâtre-Français : le Philinte de Molière est membre du comité de la guerre et des armes : il siège aux côtés de Carnot. Les Robespierre et les Saint-Just renonceront à la morale et à la gravelure pour devenir les législateurs sanglans de la terreur. Et Barère sera leur porte-voix, Barère, « le troubadour de la guillotine, » Bertrand Barère de Vieuzac, gentilhomme gascon, qui n’a plus maintenant que faire d’écrire pour les académies de province l’Éloge de Louis XII ou le Panégyrique de Le franc de Pompignan. Combien d’autres encore! L’impulsion est donnée : le règne de la littérature est fini, c’est le règne de la politique et du politicien