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compagnie, moins encore celle d’un vendeur de terrains à l’encan; son rôle n’est pas de gagner de l’argent, c’est d’en dépenser dans l’intérêt commun. Fonctionnaires nommés par le gouverneur et appelés assez souvent à lui succéder, les directeurs du chemin de fer de l’ouest l’ont toujours administré de la manière la plus libérale; ses tarifs sont moins élevés de moitié que ceux des autres lignes : aussi, et c’est un détail statistique bon à relever en passant, lui confie-t-on deux fois plus de marchandises qu’à ses rivaux. Il est devenu très prospère sans l’avoir cherché et en ne se préoccupant que de développer la prospérité des campagnes qu’il dessert. La commission directrice du chemin de fer n’a pas laissé échapper cette occasion de faire preuve une fois de plus de générosité intelligente. La nouvelle frontière n’était pas encore installée que déjà elle songeait à la relier à la métropole par des communications à vapeur; le devis est fait. Les chemins de fer se construisent économiquement dans un pays où la nature a supprimé les montagnes, où les ingénieurs ont supprimé les barrières et les passages à niveau. On établirait un chemin à une voie jusqu’à Carhué pour 12 millions de francs : ce n’est pas un bien gros chiffre, et il est arrivé parfois au gouvernement provincial de faire de plus mauvais placemens; encore faut-il savoir où les prendre. D’un côté la situation financière du gouvernement national, qui réagit sur le crédit même de la riche province de Buenos-Ayres, de l’autre l’état présent des grands marchés de capitaux où le Nouveau-Monde a l’habitude de puiser l’argent nécessaire à la création de son outillage industriel, n’engagent pas précisément à mettre sur l’heure l’affaire en train. Les chambres ont demandé à réfléchir.

Il y a un autre moyen de diminuer le prix des transports, un moyen qui suppléerait presque à l’établissement d’une voie ferrée, et qui, si celle-ci se construit, en doublerait les avantages : c’est de créer sur place quelques industries qui permettent de faire une première élaboration des produits, de les réduire à leur plus simple expression. Quand on essaie de se rendre compte des frets inutiles que paie le cultivateur argentin, on est frappé de ce que lui coûte la prétendue économie de son installation. La laine qu’il exporte contient, pour 30 de matière utile, 70 pour 100 d’impuretés diverses, dont il débourse innocemment le transport à travers les plaines peu commodes de la Plata et jusqu’en Europe. Il serait aisé d’enlever au moins le plus gros et de réduire les frais du voyage de moitié, de plus de moitié si on expédiait les laines lavées en ballots comprimés et d’un facile arrimage dans les wagons et dans les cales de navires. La laine a des chances pour être la production favorite des colons du désert, qui ont des chances pour ne pas être des colons de première qualité. L’élevage des brebis, s’il fait passer