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de la question ; elle aura du moins beaucoup contribué à l’avancer. Pour la tenter, il fallait avoir la foi, et où l’aurait-on trouvée, si on ne s’était pas adressé à l’armée ? Cet essai a démontré la possibilité de la culture dans des contrées dont le seul nom était un épouvantail ; il a permis de déterminer les conditions pratiques dans lesquelles on devait la conduire sur une vaste échelle. Il fallait ouvrir la voie aux véritables laboureurs ; on a pris pour cela un moyen héroïque, on a fait marcher le sabre au flanc derrière les charrues des laboureurs en uniforme. Soit qu’il s’établisse le long de la frontière des colonies agricoles, dont les premières récoltes trouveraient dans les campemens un débouché, soit que la fourniture des rations pour les chevaux, comme celle des vivres pour la troupe, soit concédée à quelque compagnie qui entreprenne sur les lieux mêmes, avec de puissans moyens de travail, les défrichemens nécessaires, tous les développemens de l’agriculture dans ces parages sont contenus en germe dans ces premiers sillons creusés à l’heure qu’il est manu militari. Incidemment la frontière pourrait bien y gagner trois cent mille arbres. On est en train de les planter.

Ces colonies agricoles, dont le nom devait venir dans cette étude, car il est impossible de parler frontières sans envisager les problèmes de la colonisation, — ces colonies agricoles ferment une des perspectives les plus riantes que l’imagination puisse s’amuser à concevoir sur l’avenir de ces fertiles contrées. Malheureusement c’est une perspective lointaine. À première vue, l’installation en paraît simple : quand il y a de la terre à profusion, il semble impossible qu’elle ne récompense pas amplement les efforts de ceux qui voudront la cultiver ; en réalité, la création artificielle de villages d’agriculteurs présente des difficultés très graves. Les provinces d’Entre-Rios et de Santa-Fé, où depuis vingt ans on a fait de grands sacrifices pour mettre les colonies sur un bon pied, les voient à peine aujourd’hui surmonter les crises du début et entrer dans une période prospère. Elles étaient pourtant situées sur des fleuves, sur « de grands chemins qui marchent, » et pouvaient à peu de frais envoyer au loin leurs produits. Dans la province de Buenos-Ayres, il s’est fait seulement deux ou trois entreprises de ce genre, et elles ont été essayées sur l’ancienne ligne de frontière, loin des chemins de fer et des voies navigables : aucune n’a eu un succès franc, elles vivotent. On préfère l’élevage en grand ; s’il exige de fortes avances et de vastes surfaces, il donne plus de profit et moins de peine. C’est la terre et le capital qui travaillent. Les lois qui régissaient la vente des terres publiques semblaient avoir été rédigées tout exprès pour favoriser cette tendance ; elles avaient pour résultat de les concentrer en quelques mains. Les domaines directement achetés au gouvernement provincial avaient rarement