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faire aussi bien dans une saison déjà avancée, il a fallu que tout le monde, les autorités militaires comme la commission, s’armât d’une bonne volonté décidée. Les résultats n’ont pas répondu à l’effort ; des pluies torrentielles ont compromis les récoltes. On s’y remet maintenant avec courage. Les chefs de frontière ne veulent pas en avoir le démenti. Ils se sont vraiment mis en quatre depuis un an : ils ont été briquetiers, maçons, architectes, jardiniers. En même temps qu’ils se battaient, ils s’improvisaient en plein désert de vastes établissemens. Quant au labourage, c’est leur plus cher souci. Ce n’est pas à eux qu’il faut apprendre ce que peut un cheval soutenu par une nourriture énergique, et il y a entre eux une espèce de gageure à qui mènera le premier, au galop de chasse, une expédition aux toldos qui sont en face de son campement. L’un s’est adjugé Pinzen, l’autre Namuncurá, un troisième Catriel. C’est leur propriété, ils ne veulent pas qu’on la leur prenne, et c’est à qui gagnera l’avance sur son voisin pour être prêt à aller mettre la main sur un cacique. On peut, jusqu’à nouvel ordre, compter sur leur zèle pour mener avec entrain ces travaux de culture, qui n’ont de militaire que le but.

Il ne faut pas se dissimuler pourtant que tout ce beau feu ne tiendrait pas devant une série de mécomptes, et il serait extraordinaire qu’il n’en survînt pas quelques-uns dans un essai de ce genre. Il ne s’agit de rien moins que de dompter une terre vierge, infestée d’animaux nuisibles, exposée assez souvent aux ravages des sauterelles, dans un climat bénin, mais fort capricieux. La patience, une ténacité robuste, une certaine philosophique lenteur d’idées et de mouvemens, sont l’apanage des agriculteurs et les aident à supporter bien des épreuves. Ces qualités-là ne courent guère les casernes. Il n’est pas à croire, il n’est peut-être pas à désirer que les soldats de frontière modifient leur tempérament pour se faire laboureurs de cœur et d’âme. Les commandans, durant leur période d’apprentissage, ont eu derrière eux, non pour les pousser, c’était inutile, mais pour les aider de conseils, d’envois incessans, pour choisir les semences, pour remplacer les animaux hors de service et les outils cassés, la commission de frontière, dont les membres sont là parfaitement à leur aise et dans leur spécialité. Ils n’auront pas toujours pareil auxiliaire : la commission se dissoudra après avoir accompli sa tâche, qui est de finir les travaux et d’installer les principaux services; elle cessera de veiller sur les fermes juste au moment où l’enthousiasme de la première heure commencera à se refroidir. Il ne faut pas faire trop de fonds sur l’enthousiasme pour créer un régime normal et soutenu. Cette expérience de fermes militaires ne donnera pas selon toute apparence la solution définitive