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et accoutumé à leur vie, se jeta au-devant des siens pour empêcher leur défection. Renversé de cheval à coups de lance, il fut entraîné tout sanglant à la suite de ses troupes, qui regagnaient le désert sous le commandement de son fils. Peu s’en fallut encore qu’il ne fût tué d’un coup de feu chrétien à la traversée de la première ligne, où les Indiens furent battus. Le cacique Pinzen, qui avait organisé et dirigé ce coup hardi, faillit avoir le même sort; démonté dans la mêlée, il s’accrocha à la queue d’un cheval et fut entraîné ainsi loin du champ de bataille. ne ailleurs, ce Pinzen aurait été un grand homme, et, au fait, ne l’est-il point parmi les siens? En peu d’années, ce capitanejo obscur, qui disposait à peine de trente lances, a réuni sous ses ordres tous les aventuriers, toutes les têtes brûlées du désert. Il est maintenant le cacique d’une tribu redoutable par le nombre et l’audace des soldats qui la forment, par le bonheur de leur chef. Les Indiens disent qu’il a une étoile, car il s’est déjà formé une légende autour de son nom. Le soulèvement des tribus de Manuel Grande, Coliqueo et Tripaïlao marqua l’apogée de sa grandeur. Réalisé à son instigation, il les plaçait sous sa tutelle. Cela lui fournissait six cents lances de plus et le mettait de pair avec les chefs les plus puissans. Il est fâcheux que l’idée lui soit venue si tard, et dans des circonstances telles qu’il n’a pu depuis rien faire de bon. La période des revers a succédé pour lui sans transition à cette haute fortune; au retour d’une de ses dernières incursions, par suite des habiles dispositions prises par le colonel Villegas, il a été sabré trois fois en quatre jours : en passant la seconde ligne, dix lieues avant de franchir la première et quinze lieues après l’avoir franchie. Il a perdu une partie de ses propres chevaux dans la bagarre. J’ai eu l’occasion de monter à Tronque-Lauquen une fière bête dressée par lui, qu’il avait poignardée, et, chose étrange, mal poignardée, avant de la livrer à l’ennemi. Le délié, l’insaisissable cacique a dû comprendre après cette leçon qu’on lui avait changé sa guerre de frontière, cette guerre qu’il menait d’une façon si brillante. Il luttera jusqu’au bout certainement; mais il est probable qu’il finira mal.

Nous avions été devancés de deux jours par une invasion au départ, et nous avions marché à sa suite, mais beaucoup plus pesamment qu’elle, retrouvant les cendres de ses foyers et les débris de ses repas de jumens. Nous retrouvions aussi parfois, et c’était plus intéressant, des chevaux fatigués qu’elle avait laissés en arrière, et que, déjà reposés, nous joignions aux nôtres. A l’arrivée, nous fûmes sur le point d’être atteints par une autre invasion, qui était entrée par une route différente et qui revenait derrière nous. Au lieu de la voir poindre à l’horizon, — elle nous avait été déjà