Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/880

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’ouverture et 1m,75 de profondeur. Le talus des bords avait été déterminé suivant la consistance des terrains à traverser de façon à éviter les éboulemens. La largeur au fond était de 0m,50. On le garnissait du côté de l’intérieur d’un parapet de gazon de 1 mètre de haut, contre lequel on retroussait les terres extraites de la fouille. Celles-ci devaient être couvertes d’une haie épaisse d’arbustes épineux. Dans les parties où le sous-sol était formé de roches dures, on remplaçait cette tranchée par un remblai maintenu entre deux murailles de gazon, et qui présentait en relief le profil qu’elle offrait en creux. Cela suffisait pour arrêter la sortie d’un troupeau, fùt-il poussé et aiguillonné par des sauvages, et rendait à peu près impossible le passage des nombreux chevaux de main sans lesquels ce serait folie aux Indiens de tenter une invasion. On avait eu beau réduire au strict nécessaire les dimensions de cette barrière gazonnée, il y avait à remuer 2 millions de mètres cubes et à envoyer au cœur du désert des armées de terrassiers pour exécuter ce travail. Le transport, le ravitaillement et la paie de ces hommes représentaient une grosse somme, plus d’un million. Or les crédits votés par les chambres non-seulement pour le fossé, mais pour toutes les dépenses d’installation, ne dépassaient pas 700,000 fr. Elles n’avaient pu faire mieux : la crise continuait à sévir, le gouvernement était de plus en plus aux abois, il vivait d’emprunts faits à la banque de la province, laquelle avait depuis peu suspendu la conversion de ses billets. Le fossé n’en fut pas moins attaqué avec courage ; les hommes qui avaient pris en main la réorganisation de la frontière étaient convaincus que l’important est de commencer, et qu’on finit toujours par atteindre le but, pourvu qu’on marche.

Afin de donner l’impulsion aux ouvrages et de surveiller le maniement des fonds, on nomma d’abord une « commission de voisins. » C’est le préliminaire obligé de tous les travaux publics. La république argentine n’a pas de service administratif sérieusement organisé ; on y supplée par cet expédient, qui présente de bons et de mauvais côtés. Le gouvernement désigne un certain nombre de personnes honorables, qui se chargent gratuitement, par patriotisme et par vanité, de la direction des œuvres projetées ; une fois installées, ces commissions les mènent comme elles l’entendent; elles passent les traités, achètent les matériaux, règlent les comptes des entrepreneurs. Elles sont composées de représentans de la propriété foncière ou du haut commerce, de riches estancieros résidant à la ville, de grands négocians en cuirs, d’entrepositaires de laines en suint : leur grosse fortune paraît devoir être une garantie suffisante de leur intégrité; leur habitude des affaires passe pour un gage de leur capacité. Cela est vrai presque toujours; néanmoins