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CENT LIEUES DE FOSSÉ
SOUVENIRS ET RÉCITS DE LA FRONTIÈRE ARGENTINE.

Les résultats de la nouvelle tactique adoptée par la république argentine à l’égard des Indiens avaient été heureux. Une campagne devant laquelle on reculait depuis vingt ans s’était trouvée réalisée à peu de frais : elle avait exigé plus d’énergie que de sacrifices; la translation de la frontière était un fait accompli[1]. L’imagination populaire, qui se plaît aux coups de théâtre, après s’en être exagéré les difficultés, ne demandait pas mieux que de s’en exagérer les résultats. Au fond, c’est précisément après ce triomphe que l’on entrait dans la partie ingrate et laborieuse de l’entreprise. Couvrir la nouvelle ligne d’ouvrages de défense, mettre la cavalerie à même de lutter de vitesse avec les Indiens, cela était plus malaisé que de pénétrer résolument dans des régions peu connues et d’occuper des positions ouvertes, que les sauvages étaient hors d’état de disputer aux armes à feu. On allait avoir affaire à des obstacles autrement graves que leurs longues lances de roseau et leurs grossiers rudimens d’organisation militaire. Pour exécuter les travaux indispensables, il fallait compter avec la pénurie d’argent; pour avoir des troupes bien montées, il fallait rompre en visière avec des habitudes détestables, mais invétérées, et qui faisaient partie du caractère national. Si les débuts de l’expédition avaient demandé de la fermeté, le complément de l’œuvre exigeait un effort de volonté plus patient et plus méritoire.


I.

Le fossé qu’il s’agissait de creuser le long de la nouvelle ligne présentait un développement de 400 kilomètres, avec 2m, 60 de largeur

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.