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effet, pour la première fois, l’idée si imprévue et pourtant si élémentaire de chercher l’inspiration d’un art nouveau dans la nature elle-même; nature bien modeste et bien pauvre assurément, mais qui fera paraître plus surprenant encore le succès de leur tentative. Il est vrai que leur sincérité est parfaite ; que toute leur science, et elle est grande, ne sera jamais consacrée qu’à rendre plus attachantes les impressions qu’ils goûtent eux-mêmes en étudiant de près ce pays si aimé, conquis deux fois, sur la mer et sur l’étranger. Aussi tous les aspects de leur chère Hollande, ils nous les montreront avec une fidélité naïve qui se suffit et ne croit pas avoir jamais besoin d’excuse. Si plusieurs de ces peintres, moins confians dans le charme de ses humbles horizons, essaient de lui prêter une physionomie plus relevée, en y introduisant des réminiscences et des harmonies méridionales, ou en imaginant des épisodes pompeux pour animer leurs paysages, les meilleurs, les plus forts seront ceux-là mêmes qui, sans se préoccuper de ce qu’on en peut penser, s’attacheront aux réalités prochaines pour en tirer avec un scrupuleux respect ce qu’elles peuvent contenir de naturelle et intime poésie. Une forêt sous le ciel gris, une plage battue des flots, moins que cela, un bout de haie, un chemin perdu dans le sable leur suffiront pour produire des chefs-d’œuvre, et leur constant attachement à leur patrie fera leur grandeur. Si quelques-uns d’entre eux sont restés obscurs pendant leur vie, une célébrité toujours grandissante venge maintenant leur mémoire de l’indifférence de leurs contemporains. On fouille incessamment les archives pour y découvrir sur eux les plus minces détails; la critique s’attache à les mettre successivement en honneur, et les amateurs se disputent les moindres de leurs ouvrages au feu croissant des enchères.

Van Goyen, que nous retrouvons ici avec les harmonies rousses ou grises que, suivant les dates, il a pratiquées, n’a pas grand’chose à nous apprendre après les récens travaux dont il a été l’objet. Mais Wynants, qui fut comme lui un des promoteurs du mouvement, figure au musée de Munich avec deux œuvres très importantes et qui semblent finies d’hier, tant la conservation en est parfaite. Avant ces deux noms toutefois, dans l’ordre même du temps, et aussi pour l’estime qu’il convient de faire de son talent, il est un homme qu’il faut citer et auquel on n’a pas jusqu’ici, suivant nous, rendu une justice suffisante. Nous voulons parler du vieux Jacques Geerits Cuyp, le père d’Albert. Il n’a pourtant à Munich qu’un seul ouvrage, et de dimensions bien exiguës. C’est une vue, prise probablement aux environs de Dordrecht : un bac chargé d’un carrosse à quatre chevaux traverse un fleuve et gagne une petite ville dont la silhouette se découpe sur le ciel. Au premier plan, des vaches debout