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heureux de leur mutuel amour. Isabelle nous apparaît souriante et fière, confiante dans l’affection de cet époux qui, après avoir goûté près d’elle plus de seize ans de bonheur, ne pouvait se consoler de sa perte, et cherchait en voyageant à se distraire de sa peine. « J’ai vraiment perdu une excellente compagne, écrivait-il alors... Elle était toute bonté, tout honneur, aimée de tous pendant sa vie pour ses vertus, et, depuis sa mort, universellement pleurée. Une telle perte me paraît bien digne d’être vivement ressentie. Si le remède de tous les maux est l’oubli qu’engendre le temps, il faut espérer son secours[1]. » Ce remède, il faut le dire, ne devait pas se faire bien longtemps attendre, et les distractions que Rubens avait d’abord demandées aux voyages, il allait bientôt les trouver près de lui. A trois pas d’Isabelle, fragilité de la douleur humaine! voici la fillette qui lui a succédé, cette Hélène Forment, à peine âgée de seize ans, qu’il épousait le 6 décembre 1630, quatre ans après la mort de celle qu’il avait si tendrement regrettée. C’est une enfant, rose et vermeille, mais qui a toutes les grâces d’une précoce adolescence. Sa bouche est comme un fruit, son teint comme une fleur. Les cheveux, coupés court sur le front, à la façon d’un jeune garçon, s’échappent de chaque côté de sa toque, et, de leurs boucles blondes, encadrent le frais visage. Hélène va sortir et s’apprête à plonger dans ses gants deux petites mains potelées, pas encore très bien formées. On imagine aisément que c’est le peintre lui-même qui l’a parée ainsi, qui l’a couverte de ces riches bijoux, et qui, afin de contenter ses yeux épris, a dessiné l’accoutrement de la sirène pour laquelle il a renoncé à son veuvage et oublié qu’il a cinquante-trois ans.

Il multipliera désormais les images du nouvel objet de son amour. Il y en a quatre rien qu’au musée de Munich, et vous en rencontrerez un peu partout; parfois même d’assez indiscrètes, comme cette célèbre toile du musée de Vienne, où il nous laisse voir Hélène presque nue, frissonnante, à peine cachée dans une pelisse bordée de fourrures. Nous la retrouvons donc ici, et en pied cette fois, quelques années après. La fillette s’est épanouie, ses mains se sont allongées, le visage n’a plus rien de l’enfance. C’est une jeune femme, à l’air un peu étrange, dans une parure tout à fait magnifique, vêtue d’une robe de brocart, blanche et brodée d’or, d’un ton délicieux. Elle porte des colliers, des bijoux; autour d’elle, des tentures et des tapis d’Orient; le tout d’un grand luxe et d’un goût exquis. Plus loin, c’est elle encore, vêtue de noir, coiffée d’une sorte de béret plat avec un gros pompon, à la mode espagnole;

  1. Lettre à Pierre Dupuy, 15 juillet 1526.