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un état absolu, la police a naturellement une importance capitale, elle devient d’ordinaire la pièce essentielle du mécanisme gouvernemental. C’est, à elle de suppléer aux libertés politiques, de suppléer à la presse et aux assemblées élues, là où ni la parole ni la plume n’ont le droit de dénoncer les abus. Sa tâche est naturellement d’autant plus grande que celle du pays est plus restreinte; l’œuvre de contrôle, de vérification, de critique, qui ne se peut accomplir au grand jour par l’opinion ou par les représentans de la nation, doit se faire en secret par les agens de l’autorité. En dehors de cette alternative, libertés publiques ou police occulte, il n’y a que désordre et anarchie.

En Russie, comme en tout état absolu, la police a dû jouer un double rôle, elle a dû surveiller à la fois le peuple et les fonctionnaires, les administrés, et l’administration : aussi nulle part n’a-t-elle été plus en honneur, plus omnipotente ; sous l’empereur Nicolas on peut dire que la police était vraiment le principal rouage de l’état. Aujourd’hui même, après vingt ans de réformes libérales, elle a conservé ou elle a repris une grande partie de son ancienne autorité. Un des principaux soucis des gouvernans a été le perfectionnement de cet engin de gouvernement ; afin d’en accroître la force ou l’activité, on l’a dédoublé. Pour la Russie, ce n’est pas assez d’une police, elle en a deux indépendantes l’une de l’autre. La première, la police ordinaire, régulière, est celle du ministère de l’intérieur; la seconde, la police extraordinaire, placée en dehors de tout ressort ministériel, ne relève que de l’empereur. On l’appelle la troisième section de la chancellerie impériale.

La police ordinaire a une organisation plus ou moins analogue à celle que lui ont donnée les états de l’Occident. Ce qui la distinguait naguère encore, c’était sa prédominance sur les services dont elle n’eût dû être que l’accessoire. Au lieu de rester l’humble auxiliaire et comme la servante de l’administration et de la justice, la police en était la maîtresse et la suzeraine. Les réformes d’Alexandre II ont notablement restreint ses attributions administratives comme ses attributions judiciaires, sans toutefois les resserrer autant que dans la plupart des contrées de l’Occident. Là où nous mettons un fonctionnaire de l’ordre judiciaire ou administratif, les Russes ne mettent parfois qu’un officier police. Ainsi dans les districts qui répondent à nos arrondissemens, au lieu d’un sous-gouverneur correspondant à notre sous-préfet, le gouvernement est représenté par un commissaire de police appelé ispravnik, qui dans les principales localités a sous ses ordres un agent inférieur appelé stanovoi pristaf.

L’ispravnik, encore aujourd’hui le premier fonctionnaire du