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souvenir de sa fille; 4° de cinq bourses d’externes au gymnase d’Omsk (Sibérie), etc.[1]. » Comme aujourd’hui ces fondations scolaires ou hospitalières, en mémoire de personnes défuntes ou d’anciens fonctionnaires appelés à de nouveaux postes, sont en Russie d’un usage journalier, ces créations de la piété envers les morts ou de la flatterie envers les vivans remplissent fréquemment de longues colonnes du Bulletin des lois. Ce qui est plus singulier, c’est que dans la feuille officielle ces minuscules autorisations figurent souvent au milieu des décisions les plus importantes pour le gouvernement, la justice ou l’armée, car aux yeux vigilans d’une administration qui veut tout contrôler, grandes et petites choses se trouvent involontairement ramenées aux mêmes dimensions, ou mieux il n’y a point d’affaires assez humbles pour être abandonnées au libre arbitre et au caprice des localités.

Cette centralisation bureaucratique pénètre dans tous les domaines, dans celui de l’art ou de la science comme dans celui de l’administration et de la bienfaisance. Avant les réformes de l’empereur Alexandre II, cette prétention de tout régler, de tout décider de loin, était plus forte encore. Aucun édifice public par exemple, église de campagne ou école de village, n’était construit sans un plan envoyé de Pétersbourg; s’il avait été possible, on eût expédié de la capitale les monumens mêmes. Du temps de l’empereur Nicolas, il y avait pour chaque classe d’édifices trois ou quatre types ou modèles, approuvés par le souverain : l’administration centrale décidait lequel de ces types officiels devait être adopté; l’on s’explique ainsi le peu de variété des monumens publics en province[2]. Sous les empereurs modernes comme sous les tsars et les grands princes du moyen âge, l’empire russe était gouverné à la façon d’un domaine privé, où rien ne peut être remué, rien ne peut être élevé ou abattu, sans un rapport au maître et sans l’autorisation du propriétaire.

De quelles causes dérive cette centralisation, si peu attendue dans un état aussi vaste? En France, la centralisation administrative a été surtout l’œuvre de l’histoire, l’œuvre de la politique et de la monarchie; en Russie, c’est avant tout l’œuvre de la nature et du sol même. Contrairement à toutes les apparences, ces immenses plaines de l’Europe orientale étaient faites pour la centralisation administrative, en même temps que pour l’unité politique. La Russie y était prédestinée par le défaut de limites nationales, le manque de frontières militaires ou de remparts naturels, aussi

  1. Ces exemples sont textuels et pris au hasard dans un grand nombre.
  2. Voyez, sur la centralisation, les spirituelles lettres, écrites de Russie par M. de Molinari lors de l’émancipation des serfs (1860) et récemment réimprimées, 1re édit., p. 201-218.