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CLARISSE

PREMIÈRE PARTIE.

I

Toute vie humaine compte à son déclin de solennelles journées consacrées par quelque puissant souvenir. Le soleil qui se leva, le 28 avril 1856, sur le petit hôtel qu’occupait dans les Champs-Élysées la baronne Garnay éclaira pour elle une de ces journées mémorables. Yeuve de l’illustre chimiste Garnay, à qui la science est redevable de découvertes importantes, cette aimable femme, déshabituée, depuis la mort de son mari, des joies de l’existence, attendait son fils unique, Adrien Garnay, arrivé sain et sauf d’un long voyage à travers le continent africain. Une dépêche reçue la veille annonçait à la baronne le débarquement à Marseille du savant voyageur, qui venait, à trente-deux ans, d’ajouter à la notoriété de son nom une notoriété nouvelle et de couronner sa réputation d’explorateur par une excursion courageuse aux lointains pays dont Speke, Burton, Grant, Baker, Livingstone, Stanley, d’autres encore devaient bientôt, entreprendre de révéler au monde les secrets. La baronne était en grand émoi. Pendant les trois années écoulées depuis le départ de son fils, elle avait subi de si cruelles angoisses, versé tant d’amères larmes, tremblé si souvent sur le sort d’Adrien, qu’elle n’osait croire au bonheur de le revoir. Elle allait et venait dans sa maison voilée de tristesse, qui, semblable au château de la Belle-au-bois-dormant, sortait d’un sommeil profond pour faire fête au revenant. Elle avait voulu veiller elle-même à l’arrangement de la chambre longtemps déserte dont son enfant bien-aimé allait enfin reprendre possession. Elle donnait ses ordres, gourmandant et en