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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

ment, et ceux qui doivent chanter et jouer des instrument, habillés en diables à l’antique. Ils exécuteront un ballet. Tout s’est passé ainsi ; ce n’est pas une vision supposée, apocryphe ou menteuse. »

Il y a encore une tentative d’étude de caractère dans la comédie qui porte le titre de Pedro de Urdemalas, nom du principal personnage, et dont les trois journées ne semblent être que l’exposition d’un drame qui reste à faire. Pedro de Urdemalas est une sorte de Figaro qui a fait tous les métiers, qui s’engage dans une foule de mauvaises aventures dont il se tire à force d’impudence, d’audace et quelquefois d’esprit. Un de ses tours est d’escroquer l’argent d’une riche veuve, à laquelle il se donne pour un saint homme tout frais de retour du purgatoire. « Votre défunt mari, lui dit-il, y était fort en peine ; il ne s’en tirerait pas à moins de 300 écus. Votre frère rôtit à petit feu, il faudrait 400 ducats pour l’arracher au brasier. » À cette époque le clergé, pas plus que l’Inquisition, ne prenait ombrage de ces facéties, et les âmes du purgatoire n’en perdaient pas une messe. Les Grenouilles d’Aristophane ne scandalisaient pas davantage les dévots à Bacchus, et nos évêques du moyen âge permettaient qu’on célébrât la fête des fous dans les édifices consacrés au culte et qu’on y chantât la messe de l’âne. Il y a encore dans le drame qui nous occupe un caractère de femme heureusement ébauché, car dans cette pièce singulière tout est à l’état d’ébauche. C’est une jeune fille recueillie par des bohémiens, qui montre au milieu de sa tribu misérable un esprit altier et des goûts aristocratiques. On la reconnaît pour une princesse jadis égarée par ses parens, et elle va à la cour. Alors une de ses anciennes camarades de bohème se hasarde à lui recommander les malheureux qui ont pris soin de son enfance. « Bien, dit la nouvelle princesse. Faites-moi une note, et je m’en occuperai. » On faisait déjà des notes pour les ministres en 1615.

Les intermèdes ne sont que des scènes décousues comme on ea peut improviser dans un château entre deux paravens. Ils manquent de gaîté, et le comique est souvent remplacé par des bouffonneries grossières. Dans la Guarda cuidadosa, une cuisinière, à qui un sous-sacristain fait la cour, se plaint à sa maîtresse d’avoir été déshonorée par lui. « Comment, malheureuse ! Et où t’a-t-il entraînée pour te déshonorer ? — Où ? Vraiment au beau milieu de la rue. — Comment, dans la rue ? — Oui ; il m’a dit au milieu de la rue de Tolède, à la face de Dieu et de tout le monde, que j’étais une coquine, une carogne, qui n’avais pas de honte, qui ne faisais pas attention aux choses, et maintes autres sottises de ce genre ; tout cela parce qu’il est jaloux de ce soldat. »

Çà et là, au milieu de ce fatras, on trouve quelques traits de mœurs qui ont aujourd’hui leur intérêt. Dans les Deux Bavards, un