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duire ses pièces. Il se décida, en 1615, à faire imprimer huit comédies et huit intermèdes, qui forment ensemble un assez gros volume. C’était alors le temps de la grande vogue de Lope de Vega, et un auteur si fécond, dont les drames se comptent par centaines, occupait presque seul les nombreuses troupes d’acteurs établies à Madrid. Sans vouloir attaquer la gloire de Lope, nous lui reprocherons d’avoir engagé le théâtre espagnol dans une voie déplorable, et cela de gaîté de cœur, sans système et sans conviction arrêtée. Lui-même écrit dans l’Art nouveau de faire des comédies : « Nul plus que moi ne mérite d’être taxé de barbarie. J’ose donner des préceptes contraires à l’art et me laisse entraîner par le courant vulgaire. Aussi l’italie et la France m’appellent ignorant. Mais quoi ! J’ai écrit, y compris un ouvrage que j’ai fini cette semaine, quatre cent quatre-vingt-trois comédies. À l’exception de six, toutes pèchent gravement contre les règles de l’art. Je poursuis pourtant la voie où je suis entré, et je sais que, bien qu’elles fussent meilleures dans un autre système, mes pièces n’auraient pas eu le succès qu’elles ont obtenu. Souvent ce qui est contraire à la loi n’en plaît que davantage au goût. »

Aujourd’hui, au lieu de quatre cent quatre-vingt-trois comédies, on en a recueilli près de dix-huit cents. Lope était un improvisateur fort habile. Ses vers sont gracieux, faciles, et, bien que souvent vides de pensée, ils charment encore les oreilles de ses compatriotes. Mais que penser de la composition de ces centaines de drames, où se reproduisent sans cesse les mêmes péripéties, les mêmes sentimens, les mêmes exagérations ? Tout y est faux, caractères, situations, dialogue. Ce que Lope appelle l’art est probablement l’observation de certaines règles que personne n’avait étudiées et que les pédans ne révélaient pas plus que les anciens jurisconsultes romains ne communiquaient leurs formules. L’art, c’était une convention qui obligeait à copier certains modèles au lieu d’imiter la nature, et l’admirable précepte d’Horace que le poète dramatique ne doit jamais perdre de vue : Respicere exemplar vitæ morumque, était justement celui dont on tenait le moins de compte. Lope se donnait le nom de barbare parce qu’il ne respectait pas la règle des trois unités : Shakspeare, qu’on a aussi nommé un barbare, ne la respectait pas davantage, mais il mettait à la place, ce qui valait beaucoup mieux, la profonde analyse des passions, le développement complet des caractères, l’observation exacte de tous les mouvemens du cœur humain. Où trouver quelque chose de semblable dans le théâtre espagnol ? Tout y est convention, et les personnages n’y ont pas même la variété amusante de l’ancienne comédie italienne. La seule passion qui l’anime, c’est l’honneur, disons mieux, le point d’honneur, pundonor. Au costume, le spec-