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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

pas non plus les mœurs de Cervantes sur le témoignage d’une demoiselle qui se dit âgée de vingt ans. Un seul fait nous paraît fort curieux dans cette déposition, c’est que cette jeune femme élevée dans la maison de son père, après avoir fait sa déposition, a déclaré ne savoir signer. On se souvient que les comptes du linge confié par le marquis de Villafranca à doña Andréa sont de la main de Cervantes. N’y a-t-il pas là une révélation des mœurs de l’époque ?

L’adversaire de don Gaspar de Ezpeleta ne fut jamais découvert, ni le nom de la dame qu’il allait voir à une heure indue. Après quelques jours de détention, Cervantes fut mis en liberté de la manière la plus honorable, comme il semble, et de toute l’affaire il ne resta qu’un argument de plus en faveur d’une opinion déjà fort accréditée, à savoir qu’en cas de batterie et de meurtre, les gens prudens ne doivent rien voir ni rien entendre.

La cour quitta Valladulid en 1606 ; on ne sait si Cervantes la suivit immédiatement à Madrid. M. Fernandez Guerra a fourni la preuve qu’en juin 1606 il se trouvait à Séville. Dans une lettre portant cette date, Cervantes fait une relation burlesque d’un pique-nique dans une île du Guadalquivir, le jour de la fête de Saint-Jean d’Alfarache, auquel il aurait assisté avec les beaux esprits de la ville. Après un concours poétique, il y eut un tournoi dont les tenans étaient montés sur des chevaux de carton. La première partie du Don Quichotte avait peut-être déjà discrédité les tournois véritables. Enfin, après un dîner sur l’herbe, on joua la comédie de Persée et Andromède, terminée par des couplets bouffons. Cervantes fut un des juges du concours de poésie, et le secrétaire de la coterie qui donnait la fête. Le style de la relation et les circonstances qui en ont accompagné la découverte se réunissent pour faire croire que Cervantes en est bien réellement l’auteur ; mais qu’allait-il faire à Séville ? Y était-il venu dans l’exercice de ses fonctions de commissaire royal ? C’est la conjecture la plus probable, d’autant plus que deux ans après il était encore employé dans l’administration des finances. Le 6 novembre 1608, le tribunal de la Contaduria l’ayant requis de payer une somme de 2,000 réaux environ à un individu qui était débiteur de Cervantes pour une somme plus considérable, celui-ci réclamait contre cette décision, qui prouve suffisamment qu’à cette époque il avait encore des fonds du trésor à gérer. Peu après, il est évident qu’il a résigné ces fonctions, et qu’il a même abandonné son cabinet d’affaires pour ne plus s’occuper que de littérature.

En 1609, il était établi à Madrid, et le 11 avril de la même année il est reçu membre de la confrérie du très saint sacrement de l’Oratoire. C’était alors une des plus illustres qu’il y eût en Espagne, et parmi ses membres elle comptait le roi Philippe III et le