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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

l’occupèrent pas longtemps. Nous trouvons dans l’ouvrage si scrupuleusement exact de M. de Navarrete qu’elle apporta à son mari 182,297 maravédis, y compris 37,500 dont il la dota. Il faut 34 maravédis pour faire un réal et 20 réaux pour faire une piastre. On voit que Mme Cervantes n’était pas une riche héritière.

Malgré sa jeune femme, Cervantes s’absentait souvent d’Esquivias pour visiter les lettrés de Madrid, les libraires, et surtout pour assister aux représentations dramatiques. Il y avait alors des théâtres dans toutes les grandes villes d’Espagne, et Madrid possédait plusieurs troupes, toutes très suivies. C’était un divertissement encore nouveau et qui en très peu de temps avait pris un développement extraordinaire. Il y eut à la fois à Madrid plus de vingt troupes de comédiens. Dans son enfance, Cervantes avait vu Lope de Rueda jouer sur deux tréteaux installés sur une place publique ou dans une grange. En peu d’années, on avait perfectionné notablement le matériel et le personnel des théâtres, et on avait remplacé les dialogues de Lope de Rueda par des drames plus ou moins réguliers. On n’avait pas encore, à la vérité, construit de grands édifices en pierre, mais partout s’élevaient de vastes baraques recevant un nombre considérable de spectateurs. La comédie espagnole avait commencé, comme la comédie grecque, par des dialogues en vers, espèces de parades à deux ou trois personnages. Bientôt elle se complut en une intrigue bizarrement nouée ; l’action devint compliquée, le style plus lyrique que dramatique, et, comme on ne vit paraître ni Eschyles ni Sophocles, le public montra tout de suite un goût très vif pour la pompe du spectacle et ce qu’on appelle aujourd’hui l’art du machiniste. Cervantes raconte ainsi lui-même les progrès du théâtre espagnol, qu’il avait suivis avec un très grand intérêt : « Je me souvenais d’avoir vu le grand Lope de Rueda, homme admirable pour la scène et d’une intelligence extraordinaire. Il était de Séville, et de son métier batteur d’or. Merveilleux dans la poésie pastorale, il n’a trouvé personne, alors ou depuis, qui l’ait surpassé dans ce genre… Navarro, qui lui succéda, perfectionna la mise en scène. Au lieu d’un sac, qui renfermait d’abord tous les costumes, il lui fallut des malles et des coffres. Il plaça les musiciens devant le public ; autrefois ils jouaient derrière la scène. Il fit raser ses acteurs, qui ignoraient avant lui les postiches, et il n’y eut plus que les vieillards qui parurent avec la barbe. C’est encore à lui qu’on doit l’invention des machines, des nuages, des tonnerres et des éclairs, des duels et des batailles. » Sur le point de savoir quand les femmes montèrent sur la scène, Cervantes ne nous donne aucun détail. Nous croyons qu’en Espagne, de même qu’en Angleterre, les rôles de femmes furent d’abord rem-