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il s’embarqua sur la galère el Sol, avec son frère Rodrigo, soldat comme lui. Non loin des côtes d’Espagne, ils furent attaqués et pris, après un combat assez long, par des corsaires d’Alger, Les deux frères devinrent esclaves d’un renégat grec, nommé Dali Mami, lieutenant ou camarade d’un autre renégat albanais, appelé Arnaute Mami. Par suite de la conformité des noms, on a souvent fait de ces deux coquins un seul personnage.

La lettre de don Juan que portait Michel Cervantes fit croire aux forbans qu’il pourrait payer une forte rançon, et il eut beau dire qu’il n’était qu’un simple soldat, on s’obstina à le traiter comme un capitaine, c’est-à-dire fort mal, selon l’usage d’Alger, afin de l’obliger à se racheter plus vite. Il essaya de se sauver et de gagner Oran, où les Espagnols tenaient garnison ; mais il s’égara, fut repris, mis à la chaîne et surveillé avec un redoublement de rigueur. Trois fois encore, la même année, il fit des tentatives d’évasion, et toujours sans succès. Sa famille, instruite de la captivité des deux frères, envoya en Afrique tout l’argent qu’elle avait pu réunir ; mais les Maures voulaient une rançon considérable, et Rodrigo seul fut racheté. En partant pour l’Espagne, il emportait un plan d’évasion concerté par son frère Michel, et qui devait être communiqué aux autorités espagnoles pour qu’elles voulussent bien le favoriser. Il s’agissait d’envoyer à jour fixe un petit navire devant un point de la côte éloigné d’Alger d’environ une lieue ; là, un certain nombre de captifs espagnols devaient se trouver réunis. Dans un jardin, appartenant à un Maure d’Alger, existait un souterrain où, depuis assez longtemps, des esclaves chrétiens s’étaient réfugiés. Probablement c’était quelque ancien silo, agrandi peut-être par le captif qui cultivait le jardin. À l’exception de cet homme et des habitans du souterrain, parmi lesquels était Cervantes, personne n’en connaissait l’existence. Mais il fallait vivre, en attendant le navire qui devait les délivrer. Ils prirent pour leur pourvoyeur un Espagnol natif de Melilla, qu’on appelait el Dorador, et pendant quelque temps cet homme s’acquitta fidèlement de sa charge. Le 20 septembre 1577, jour fixé dans l’instruction tracée par Cervantes, une barque commandée par un Mallorquin, nommé Viana, s’approcha du rivage et fit les signaux convenus. Malheureusement elle fut aperçue presque aussitôt par des Maures qui donnèrent l’alarme, et la barque s’empressa de gagner le large. Pour embellir l’histoire, on a raconté que Cervantes avait empêché ses camarades de profiter de l’occasion et de s’embarquer, afin d’attendre el Dorador, qui devait partir avec eux. Si les fugitifs avaient pu s’embarquer, il eût été absurde de rester à terre pour attendre leur homme. Le jour suivant, Viana et sa barque ne reparurent plus, mais el Dorador, soit par la peur que lui avait causée l’insuccès de la veille,