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leur pays. Ils savaient par cœur la Galatée, la première partie de Don Quichotte, et leurs éloges furent si vifs que je dus m’offrir à leur faire voir l’auteur, ce qu’ils acceptèrent avec beaucoup d’empressement. Comme ils me faisaient mille questions sur son compte, il fallut leur dire que Cervantes était un vieux soldat, gentilhomme, et pauvre ; sur quoi, un des Français s’écria : — Comment l’Espagne ne fait-elle pas à un tel homme une riche pension sur le trésor public ? — Mais un de ses compagnons reprit : — Si c’est la nécessité qui le fait écrire, plaise au ciel qu’il ne s’enrichisse jamais, afin que, restant pauvre, il enrichisse le monde de ses œuvres ! » Béni soit le licencié Marquez, ce modèle des censeurs, qui n’a rien effacé dans la seconde partie du Don Quichotte, et qui nous a conservé cette historiette à la louange de nos compatriotes.

Dès que Cervantes fut bien et dûment reconnu pour un génie, c’est-à-dire assez longtemps après sa mort, on se mit à rechercher avec une extrême curiosité toutes les particularités de sa vie aventureuse ; malheureusement il était trop tard, et, pour faire sa biographie, il ne restait plus qu’un petit nombre de renseignemens certains, encore étaient-ils mêlés avec une foule de traditions apocryphes et d’anecdotes de pure invention. Le nom de Cervantes, Cerbantes ou Zerbantes, c’est tout un, n’est pas rare en Espagne : partout où il se rencontrait, dans un registre de paroisse ou dans tout autre instrument, on prétendait avoir découvert sa patrie. Le patriotisme municipal aidant, sept villes, tout autant que pour Homère, se disputèrent la gloire de lui avoir donné naissance, et chacune a trouvé des avocats plus ou moins habiles pour soutenir ses titres. Madrid, Séville, Lucena, Tolède, Esquivias, Alcazar de San Juan, Consuegra, ont eu leurs partisans et ont produit des mémoires à l’appui de leurs prétentions. Don Martin Fernandez de Navarrete apporta le premier une judicieuse critique dans ses investigations, et sa Vie de Cervantes publiée en 1819 est un excellent travail. Après lui, don Jeronimo Moran, dans une biographie que l’Académie espagnole a jugée digne d’être placée en tête de sa magnifique édition du Don Quichotte publiée en 1862, a rectifié quelques légères erreurs, et ajouté les résultats de petites découvertes récentes. Ces deux érudits, bien différens de leurs prédécesseurs, se sont gardés de présenter des hypothèses pour des trouvailles merveilleuses, et lorsqu’ils ont été forcés, faute de documens, de hasarder quelques conjectures, il les ont exposées avec beaucoup de candeur, indiquant eux-mêmes l’incertitude de leurs opinions. C’est à ces deux notices que nous empruntons les détails qui nous paraissent de nature à intéresser particulièrement les lecteurs français.

Aujourd’hui, il est parfaitement constaté que Michel Cervantes