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LA VIE
ET
L’ŒUVRE DE CERVANTES

Si vous demandez à un Espagnol ou à quelqu’un qui ait fait une étude particulière de la langue castillane ce qu’il faut penser du style du Don Quichotte ou des Novelas ejemplares, on vous répondra probablement qu’il est inimitable et intraduisible[1]. Cela peut être vrai jusqu’à un certain point, et je crois qu’il en est de même pour tous les auteurs vraiment originaux ; cependant c’est en grande partie à ses traducteurs que Cervantes doit sa renommée, et ses compatriotes, qui pendant longtemps ne l’ont considéré que comme un prosateur élégant et enjoué, se sont aperçus qu’il était le meilleur de leurs écrivains lorsque toute l’Europe l’avait proclamé tel. Le licencié Marquez de Torres, maître des pages du cardinal archevêque de Tolède, eut l’honneur d’être le censeur de la seconde partie du Don Quichotte. C’était à ce qu’il paraît un homme d’esprit assez bon écrivain pour qu’on ait accusé Cervantes d’avoir rédigé lui-même l’Approbacion qui autorisa la vente de son livre. « Le 25 février 1615, dit le licencié Marquez dans l’Approbacion susdite, j’eus l’honneur d’accompagner son éminence chez l’ambassadeur de France qui venait d’arriver. Causant avec les gentilshommes de sa suite, ils me demandèrent quels étaient les auteurs espagnols le plus en réputation. En m’entendant nommer Michel Cervantes, dont pour lors j’étais le censeur, ces messieurs ne trouvèrent pas de termes assez forts pour m’exprimer l’admiration qu’il excitait dans

  1. L’étude que nous publions a été écrite par M. Mérimée pour servir d’introduction au Don Quichotte de Cervantes, traduit par M. Lucien Biart, édité par la maison Hetzel, et qui paraîtra sous peu.