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fray, qui vient de s’éteindre jeune encore, après une vie de probité et d’étude, qui jusqu’à la dernière heure avait un sentiment si vif de la modération politique, était-ce un démagogue ? M. de Fourtou a pu faire avec complaisance l’apologie de son administration : a-t-il essayé de prouver que des maires comme M. Feray, M. le comte Rampon, qu’il a destitués pendant son consulat guerrier, étaient des factieux ? M. Dufaure ne se montrait-il pas l’autre jour le plus prévoyant, nous dirons presque le plus pathétique des conservateurs, lorsqu’il signalait le danger de ces luttes implacables qui ont leur contre-coup jusque dans les familles ? Était-il un factieux ou un allié des factieux lorsqu’il exhortait ses collègues à laisser de côté les ordres du jour provocateurs, à envoyer le président de la commission sénatoriale du budget auprès du président de la commission de la chambre des députés pour s’entendre sur l’affaire la plus pressante du pays ? Ne voit-on pas qu’avec toutes ces suspicions jetées sur les hommes les plus sérieux, les mieux faits pour offrir des garanties, on n’arrive qu’à diviser les forces du pays ?

Et puis, il faut bien se dire que la société marche, que la révolution française, par des ramifications infinies, produit ses conséquences dans les mœurs, dans les opinions comme dans les intérêts, et qu’il se dégage par degré une France nouvelle qui reste toujours conservatrice, qui l’est même peut-être plus qu’elle ne l’a jamais été, mais qui l’est autrement que M. le duc de Broglie. Il faut en prendre son parti, et ce serait désormais la plus vaine illusion de ne voir des conservateurs que parmi les partisans des divers régimes monarchiques qui ont passé sur la France. Les conservateurs aujourd’hui, ce sont aussi tous ceux qui travaillent, qui créent chaque jour leur bien-être, qui s’élèvent par le talent, par le commerce ou l’industrie et qui, sans acception de régime, tiennent à leurs droits, à leur indépendance sous un gouvernement libéral et sensé. Ils votent librement dans l’occasion, ils ne sont pas pour cela des ennemis, et le monde politique qui se forme à leur image, qu’ils appellent à les représenter, n’est pas non plus un ennemi. C’est une situation générale dont il faut savoir tenir compte, sans esprit d’exclusion, dans les relations avec le parlement comme avec l’opinion, dans le choix des hommes qui peuvent être utilement appelés à exercer le pouvoir d’accord avec le chef de l’état. Que M. le président de la république tienne à maintenir à travers tout une autorité énergique et respectée, que, pour dénouer la pénible crise dont nous souffrons, il ne s’adresse qu’à des hommes connus pour leur modération, faits pour lui inspirer à lui-même une entière confiance et pour rassurer le parlement, rien de mieux. Il a pu croire un instant avoir trouvé un palliatif dans le ministère qu’il a créé il y a quelques jours, qui n’est qu’un cabinet d’affaires, et qui s’est empressé de définir lui-même son rôle modeste et temporaire. Assurément, à ne juger que