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nous avez faites; mais après cela terminez votre œuvre. Nous craignons que vous n’ayez résolu de la laisser inachevée et que le comte Eulenburg n’ait emporté la réforme au fond de sa valise. — Je vous jure qu’il n’en est rien, riposte M. Friedenthal, remplaçant intérimaire du ministre de l’intérieur. — Nous vous en croyons, répliquent les libéraux. Toutefois votre parole n’engage que vous-même, et nous vous soupçonnons, sans vouloir vous faire tort, d’être un ministre de carton, mis en mouvement par de secrets ressorts dont nous aimerions bien qu’on nous expliquât la mécanique. Nous vous remercions de votre promesse ; mais avant de reprendre confiance, nous attendrons de savoir ce qu’en pense celui qui tient dans sa main tous les fils et qui dans ce moment est à Varzin, car en Prusse les ministres qu’on voit sont peu de chose, et celui qui est tout, on ne le voit jamais.

— Dissipe le brouillard qui nous enveloppe, et fais-nous la grâce de nous laisser combattre à la lumière du jour! — Voilà ce qu’Ajax, fils de Télamon, demandait à Jupiter. Les libéraux adressent la même prière à l’illustre ermite de Varzin, et lui disent : — Nous ne demandons pas mieux que de vous suivre, mais veuillez nous dire où vous allez. — L’ermite ne répond point, et le brouillard ne se dissipe pas. On ne peut espérer que la lumière se fasse avant que M. de Bismarck soit de retour à Berlin. Il y arrivera, dit-on, dans le courant du mois de décembre ; peut-être les libéraux sauront-ils alors à quelles conditions il consent à quitter sa retraite et à reprendre ses fonctions. Ce qu’on en sait déjà n’est pas de nature à les réjouir. On présume d’abord que le chancelier remettra sur le tapis la réforme des impôts qui alimentent le trésor de l’empire et qu’il demandera au parlement impérial de substituer des taxes indirectes aux contributions matriculaires, acquittées par chaque état au prorata de sa population. On n’ignore pas non plus qu’il s’est converti au protectionisme, soit que la protection lui plaise comme moyen fiscal, soit que ce régime convienne à sa nature militante; quand on ne fait pas la guerre à coups de canon, on la fait à coups de tarif, c’est toujours la guerre. M. de Bismarck a été admirablement servi par l’attitude qu’a prise le cabinet de Vienne et par la rupture des négociations pour un traité de commerce entre l’Allemagne et l’Austro-Hongrie. Le tarif autonome présenté à Vienne et à Pesth a déjà modifié la situation ministérielle à Berlin. La question commerciale ou douanière était une pierre d’achoppement, une cause de zizanie dans le sein du conseil. Si le tarif autonome est adopté sans modifications notables, M. Camphausen, jusqu’aujourd’hui chaud partisan du libre échange, ne fera plus d’opposition au protectionisme du chancelier, et l’Allemagne entrera dans la voie des représailles. Agira-t-on exclusivement contre l’Autriche-Hongrie, ou fera-t-on un tarif général, applicable à tous les pays, même à la France, qui, d’après l’article 11 de la paix de Francfort, a droit au traitement de la nation la plus favorisée? Ce traitement serait le tarif général.