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Au mois de juillet 1870, si la chronique dit vrai, le comte avait couru à Ems sans y être appelé, pour avertir son souverain du fâcheux effet produit sur l’opinion publique par les concessions qu’il avait faites à M. Benedetti, et pour lui représenter qu’il était perdu s’il en faisait une de plus. Le roi Guillaume n’a jamais oublié ce service rendu à sa gloire; aussi a-t-il toujours défendu le comte Eulenburg contre les animosités du prince de Bismarck; mais les places les plus fortes finissent par se rendre, quand l’assiégeant réussit à les cerner.

Qu’est-ce qu’un cabinet, privé de son ministre de l’intérieur, qui est parti en promettant de revenir, mais qui ne reviendra pas, et de son président du conseil, lequel a obtenu au printemps dernier un congé indéfini dont lui seul fixera le terme? L’un n’est plus là, l’autre n’est jamais là. Une chambre prussienne peut prendre son parti d’avoir affaire à des ministres désagréables ; mais avoir affaire à des absens, à des ministres nomades, pourrait-elle s’y résigner sans perdre le droit de se prendre au sérieux? On n’a pas encore inventé des wagons assez vastes pour qu’une assemblée y discute le budget en courant la poste. Le brusque départ du comte Eulenburg était d’autant plus regrettable qu’on avait commencé sous ses auspices et sous sa direction le grand travail de la réforme administrative, destinée à remplacer des institutions semi-féodales, semi-bureaucratiques, par un système vraiment libéral de décentralisation. On avait préludé à cette refonte par une loi sur l’administration provinciale, qui est aujourd’hui en vigueur dans cinq provinces; on se disposait à en faire une autre réglant le régime municipal dans les communes urbaines et rurales, après quoi on eût appliqué à tout le royaume les principes dont on avait voulu faire d’abord une expérience restreinte. Le comte Eulenburg avait-il en partant jeté ses projets au panier? le gouvernement renonçait-il à la réforme? Le discours du trône n’annonçait plus qu’une loi sur les municipalités urbaines dans les cinq provinces de l’est, et en général ce discours, mélancolique et grisâtre, n’était pas propre à réjouir les cœurs. Il y était parlé de la crise industrielle et commerciale, qui dure toujours, de certaines branches de revenus qui n’avaient pas rendu ce qu’on attendait, de la nécessité où l’on s’était vu d’augmenter les contributions matriculaires, de crédits considérables à ouvrir pour répondre à de nouveaux besoins, et enfin d’un projet d’emprunt.

Le Landtag, que le discours du trône n’avait point mis en gaîté, crut se devoir à lui-même d’interroger le gouvernement pour savoir ce qu’allait devenir la réforme administrative, ce que signifiait le départ du comte Eulenburg, et comment certains ministres s’y prenaient pour accorder leur absentéisme et leur responsabilité. Ce furent encore MM. Virchow et Windthorst qui montèrent à l’assaut. Le centre catholique avait déposé un projet de résolution portant que la chambre invitait le gouvernement à lui présenter le plus tôt possible une loi sur