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phénomènes rares et singuliers, il ne fallait pas s’en offusquer : c’était le fait des circonstances et « du développement génétique d’une situation dont on chercherait vainement ailleurs le pendant. » Il s’étendit sur l’éloge des deux étrangers, assura l’assemblée qu’elle aurait beaucoup de plaisir à faire leur connaissance et qu’au surplus rien ne s’était fait que du consentement de tous les ministres, consultés dans toutes les règles ; le reste était du ressort de la prérogative royale, et la prérogative royale ne pouvait être mise en discussion. Si courtoise dans les termes que fût cette réplique, elle revenait à dire : Ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde point, et les questions ministérielles vous regardent aussi peu que ce qui se passe dans la lune. — « Qui es-tu? que fais-tu ? d’où viens-tu ? que deviendras-tu ? C’est une question, disait Voltaire, qu’on doit faire à tous les êtres de l’univers, mais à laquelle nul ne répond. » Voltaire entendait sans doute parler des ministres prussiens; de tous les êtres de l’univers, ce sont les moins disposés à s’expliquer. Quand un catholique, quand un progressiste leur demande : Qui es-tu? d’où viens-tu? que fais-tu? ils se donnent l’air de répondre, mais ils laissent aux journaux officieux le soin de dire le mot vrai. Dans la circonstance que nous rappelons, la Gazette de l’Allemagne du Nord emboucha sa plus bruyante trompette pour annoncer à la cour et à la ville que l’introduction de MM. Hofmann et de Bulow dans le cabinet prussien était un soufflet de plus donné sur la joue des parlementaires et du parlementarisme, et que ceux qui en jugeaient autrement avaient des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre.

Les députés prussiens sont condamnés à éprouver sans cesse de nouvelles surprises, et, quoi qu’ils fassent, ils n’ont jamais leur compte. L’an dernier, ils avaient découvert avec étonnement dans le cabinet deux ministres sans portefeuille, qu’ils n’avaient garde d’y chercher; cette année, tout récemment, comme ils se disposaient à entrer en propos avec un ministre très nécessaire, le ministre de l’intérieur, qui avait d’importantes questions à débattre avec eux, on leur a annoncé sans préparation que ce ministre venait de faire ses malles, qu’il était parti, qu’il avait disparu, laissant son portefeuille à son remplaçant intérimaire, M. Friedenthal. Pourquoi le comte Eulenburg avait-il offert sa démission au roi, qui l’a changée en un congé de six mois? Ce point est resté mystérieux comme beaucoup d’autres. Les naïfs affirment que le comte Eulenburg, atteint sérieusement dans sa santé, avait besoin de repos pour la refaire. Les sceptiques, qui croient difficilement aux maladies des hommes d’état, assurent que le ministre de l’intérieur ne s’entendait pas avec M. de Bismarck, qu’il était las de défendre contre lui son indépendance, et qu’il désespérait d’acquérir le degré de souplesse que le président du conseil exige de ses collègues. Il y avait quinze ans qu’il était en charge; il a dû en coûter au roi de se séparer de ce vieux serviteur, qui avait des titres particuliers à son attachement.