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est étourdissante, et cette épithète est à elle seule tout un jugement, car elle est à la fois un résumé complet de la richesse des ressources déployées par l’auteur et une exacte expression de l’espèce d’éblouissement où elle maintient le lecteur de la première à la dernière page. Cela est touffu d’idées à en être capiteux, fourmillant d’opinions à en être déconcertant, dense d’images à en être vertigineux; trente années de méditations et d’études, de rêveries et d’observations sont concentrées dans cet élixir critique où la maturité de l’auteur apparaît purifiée de toute scorie d’engouemens juvéniles, de tout ferment d’école, de toute impropriété de pensée, comme un vin généreux se dépouille par l’effet du temps de tout tartre et de toute lie. Cependant cette abondance de richesses n’entraîne aucune confusion, aucun étouffement, aucune obscurité, car la lumière tombe à flots sur ces massifs d’images. Chaque chose est en relief, et toutes sont fondues dans l’ensemble avec une telle harmonie qu’on ne pourrait en détacher quelqu’une qu’en lui faisant perdre une partie de la valeur qu’elle gagne au voisinage des autres. L’allure du style est à l’unisson de son coloris. Le livre est lancé d’un mouvement superbe, qui fait pour ainsi dire rebondir les chapitres les uns sur les autres avec la souplesse et l’élasticité d’une balle poussée par un joueur d’une adresse invincible. Ce texte court rapide comme si l’auteur avait hâte d’embrasser plus vite les ensembles, et cependant insiste comme s’il était soucieux de n’oublier aucun détail; sans prendre de temps d’arrêt, sans même se ralentir, par une épithète heureusement trouvée, par une phrase incidente judicieusement placée, l’écrivain enchâsse dans sa trame les particularités intéressantes ou curieuses qui se rapportent à son sujet, en sorte que sa composition générale ne lui coûte aucun sacrifice d’exactitude et que son exactitude ne lui coûte aucun sacrifice d’art. Nous connaissions de longue date le coloris précis et fin de Fromentin, mais rien dans ses précédentes œuvres ne nous avait préparé à cette qualité du mouvement qui est si marquée dans les Maîtres d’autrefois qu’elle a suffi à lui constituer un style entièrement nouveau, et que ses plus anciens admirateurs en ont été surpris à juste titre. Si cette qualité lui était naturelle cependant, comment ne l’a-t-il pas déployée plus tôt, et si elle est acquise, à quel heureux effort en sommes-nous redevables? Disons nettement toute notre pensée à cet égard. Parmi les dons nombreux de Fromentin, il n’en est pas qui lui ait rendu plus de services que cette délicate faculté d’assimilation sans gloutonnerie qui le rendait capable de faire passer dans la propre substance de son talent les qualités des œuvres qu’il étudiait, tout en en rejetant les travers. De même donc que Fromentin avait à ses débuts trouvé en Théophile Gautier un initiateur au style pittoresque, il nous semble découvrir